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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/353

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se sont acquis les corsaires grecs, c’est qu’ils n’ont pas eu la chance que les chants admirables qui les ont célébrés soient arrivés à faire partie de l’éducation traditionnelle du genre humain ? Cependant ils méritaient la même fortune, car les uns et les autres présentent entre eux d’assez singulières ressemblances, et peut-être de tous les membres de la famille aryenne, les peuples de l’extrême nord sont-ils ceux qui se rapprochent le plus des enfans de la lumineuse Grèce. Les uns et les autres furent également féroces avec héroïsme et fourbes accomplis, navigateurs curieux et grands conteurs d’histoires ; sous ce dernier rapport, l’Islandais, narrateur intarissable, est un véritable frère pour le Grec à la faconde brillante. Les uns et les autres ont conçu et composé leur ancienne histoire d’une manière identique et sous forme poétique, ceux-ci par les chants des rhapsodes, ceux-là par les chants des skaldes et les récits des sagas. Ces ressemblances ne se bornent pas au moral : de tous les types de beauté des divers peuples européens, la beauté anglaise et Scandinave, quand elle est sérieuse, est celle qui, pour la netteté du profil, la précision des traits et la perfection générale du dessin se rapproche le plus du type classique que la sculpture grecque nous a transmis. Enfin il n’est pas jusqu’aux croyances et aux superstitions des deux races qui n’aient de singulières analogies : les trois Nornes de la religion d’Odin ne sont que les trois parques sous un autre nom, et l’ambroisie dont les héros se délectaient en compagnie des dieux de l’Olympe pourrait bien avoir eu le goût de l’hydromel à saveur d’ambre que les guerriers Scandinaves buvaient en compagnie des Ases divins.

Ce ne fut pas, on le conçoit, sans les plus extrêmes difficultés que les nouvelles royautés du Nord vinrent à bout d’une habitude si puissamment enracinée. Il y avait d’immenses obstacles à surmonter, et le principal était celui qui se rencontre toujours dans toute nation qui change son état social, c’est que les réformateurs avaient été élevés dans les institutions mêmes qu’ils étaient appelés à changer. La plupart de ces rois avaient été vikings eux-mêmes, et pouvaient être appelés à le redevenir, car pendant tout le Xe siècle et une grande partie du XIe, la piraterie fut le refuge de tous les grands qu’atteignaient les revers de la fortune. Un héritier légitime du trône était-il exclu de la couronne par un usurpateur, un fils de roi avait-il dispute avec son père, un roi même tombait-il du pouvoir, immédiatement la piraterie lui ouvrait ses rangs, et la vie d’aventure lui offrait la promesse de le revancher. Le roi Sweyn, fils naturel d’Harold à la dent bleue, et, par ce fait de sa naissance, en querelle avec son père, fut viking pendant toute sa jeunesse, et conquit le trône par ce moyen. Le premier roi de Norvège, Harald Haarfagr, mit tous ses efforts à limiter la piraterie ; cependant ses