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temps à écouter une de ses rhapsodies à l’heure même où le danger menace, prend ses jambes à son cou pour gagner les vaisseaux de son ennemi Sigvald et se fait poursuivre par les gardes d’Hakon, lequel demande qu’on lui ramène son poète mort ou vif. Quelquefois même, pour changer de camp, ils n’avaient pas besoin de changer de maître, ils n’avaient besoin que de changer de place, et c’est là l’histoire d’Havard, le messager de Sweyn à Jomsburg, qui, assis à la table de Sigvald, entonne une chanson satirique composée par lui-même contre le roi dont il s’est chargé de transmettre et d’exprimer les volontés. On voit que les vices reprochés aux hommes de lettres datent de loin, et si cela ne leur fait pas de la noblesse, cela leur fait au moins des quartiers.

Le skalde islandais portait à Sigvald un message de la plus extrême importance. Le roi Sweyn faisait savoir au capitaine de Jomsburg que son père Harold le Superbe, le jarl de Scanie, venait de mourir, et qu’il devait sans retard venir boire la bière de ses funérailles dans sa demeure héréditaire où il l’attendait, lui, Sweyn, avec une partie de sa cour. Sigvald fit répondre qu’il s’y rendrait dans le plus bref délai, mais comme le piège était visible, le capitaine viking, rendant ruse pour ruse, s’embarqua avec les forces entières de Jomsburg, c’est-à-dire 10,000 hommes. Sweyn, en voyant sa vengeance lui échapper, était près de s’abandonner à la colère du désespoir ; mais sa femme Gunnhilda lui souffla une inspiration à peu près semblable au plan que sa sœur Astrida avait naguère suggéré à leur père Burislaf. « Vous voulez vous venger de ces vikings, et vous aviez pensé à les brûler dans la salle du festin, et parce que leur nombre formidable rend impossible cette vengeance qui était indigne d’un roi, voilà que vous abandonnez la partie et que vous consentez à être une seconde fois la dupe de Sigvald ; mais le nombre même de vos ennemis est l’élément de votre vengeance. Que ne leur arrachez-vous après boire le vœu d’une expédition contre le jarl Hakon, souverain de Norvège, l’homme que vous haïssez le plus au monde ? Ils donneront dans le piège, n’en doutez pas, car il y a dans une telle expédition gloire et butin à recueillir, et alors il arrivera de deux choses l’une, ou qu’ils succomberont sous les coups du jarl Hakon, et alors vous serez vengé sans qu’il en ait rien coûté à votre honneur, ou qu’ils triompheront du souverain de Norvège, et alors vous serez débarrassé de votre puissant ennemi. »

Sweyn reçut ce conseil comme une inspiration du ciel, car il lui fournissait le moyen non-seulement de se venger, mais de réaliser une entreprise toujours présente à son esprit, la conquête de la Norvège. C’était un projet qui, bien que d’origine récente, était déjà presque de tradition en Danemark. Cela avait commencé sous