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chef-d’œuvre de trahison il avait réussi à amener la vacance du pouvoir en Norvège, et à se substituer à la race d’Harald Haarfagr. Usurpateur politique autant qu’heureux, il ne voulut jamais du nom qu’avaient porté ceux qu’il avait dépouillés, et se contentant d’être roi de fait, il gouverna vingt ans la Norvège sous son simple titre de jarl. Son gouvernement fut dur, âpre, mais obéi et redouté, comme le sont facilement ces sortes de dictatures monarchiques. Une seule chose nous en importe en dehors de sa résistance aux vikings de Jomsburg : sa politique, dans ce qui était à cette époque la grande question du Nord, c’est-à-dire la substitution du christianisme à la vieille religion d’Odin. Cette politique fut la principale affaire de son règne, et c’est par elle que son caractère se révèle tout entier.

Cette substitution s’accomplissait partout dans le Nord avec lenteur, tiédeur et mauvais vouloir ; en Danemark, elle avait été tout récemment opérée par la forte volonté de l’empereur Othon Ier, qui l’avait imposée à Harold à la dent bleue ; en Suède, elle s’était arrêtée en grande partie à la province de la Gothie orientale et avait été repoussée par les souverains, car nous voyons plusieurs années après le point du temps qui nous occupe, la princesse suédoise Sigrid répondre à Olaf, fils de Tryggvi, qui sollicitait sa main en mettant sa conversion au christianisme parmi les conditions du mariage : « Ce sont les dieux de tous mes ancêtres, choisis ceux qu’il te plaira et laisse-moi les miens. » Quant à la Norvège, le christianisme venait à peine d’y faire son apparition, et il n’y avait encore poussé que de très faibles racines. Le roi Hakon le Bon, le plus jeune fils d’Harald Haarfagr, l’avait importé d’Angleterre, où il avait été baptisé à la cour du roi saxon Athlestan, son père adoptif. Disons ici par parenthèse que c’est à l’Angleterre que la Norvège a du véritablement le christianisme ; il en est venu à trois reprises différentes, car il fallut recommencer souvent cette difficile entreprise : sous Hakon le Bon, sous Olaf, fils de Tryggvi, qui pendant sa vie de viking avait été baptisé, selon la tradition, par un ermite des îles Sorlingues, et rebaptisé par Elphége, archevêque de Cantorbéry, et enfin, et cette fois d’une manière définitive, sous le second Olaf, qui, pirate aussi dans sa jeunesse, se fit instruire dans la nouvelle religion et en embrassa les principes avec une ardeur si particulière qu’elle lui gagna le nom de saint. Pour en revenir au roi Hakon, l’introduction du christianisme en Norvège fut le grand souci de son règne, et il y réussit peu. Il faut qu’il ait été réellement bon en effet, pour s’acquérir cette épithète en dépit de la constante opposition où sa tentative le mit avec ses sujets. Le roi n’avait qu’horreur pour les coutumes religieuses de son peuple, et le peuple n’avait que mépris pour la religion de son roi.