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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/375

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Heureusement il avait auprès de lui, pour tempérer cet antagonisme, un sage-conseiller, Sigurd, jarl de Trondjhem, le père même de Hakon-Jarl, païen conciliant et même un peu sceptique, un caractère tout au rebours de celui de son fils. Sigurd rendait au roi le service de donner de ses actes et de ses paroles les interprétations les plus populaires. Carlyle en cite un curieux exemple. Un jour Hakon étant obligé, dans une fête nationale, de boire la bière sacrée, fit le signe de la croix au-dessus de la coupe avant de la porter à ses lèvres, et comme l’assistance grommelait sourdement en demandant l’explication de ce geste : « Ne voyez-vous pas, dit Sigurd, qu’il fait le signe du marteau de Thor avant de boire ? » Cette adroite parole prévint une explosion, mais les mécontentemens n’étaient pas toujours aussi faciles à apaiser, et un jour que dans une assemblée populaire, convoquée dans le district de Trondjhem, — une sorte de parlement primitif qui s’appelait Thing, — Hakon pressait impérieusement ses sujets de renoncer aux anciens dieux et d’embrasser le christianisme, il souleva une effroyable tempête parmi ces paysans et ces propriétaires qui, ayant toujours eu avec leurs rois le franc-parler le plus familier, n’eurent aucune habitude de respect à dominer pour lui faire une déclaration où les anciennes cortès d’Aragon n’auraient rien trouvé à ajouter pour la fierté des expressions et l’indépendance des résolutions. « Nous ne savons vraiment, lui dit, dans un petit discours admirable de netteté, un certain orateur du nom d’Osbjorn, si tu es dans l’intention de refaire de nous des esclaves avec cette étonnante proposition que tu nous fais d’avoir à renoncer à la religion que nos pères ont elle avant nous, et avant eux tous nos ancêtres, d’abord dans l’âge de la sépulture par le feu, et puis dans l’âge de la sépulture en terre, et cependant ces ancêtres étaient de beaucoup nos supérieurs, et leur religion aussi nous a porté bonheur. Nous t’avons si fort aimé que nous t’avons élevé au-dessus de nous pour faire exécuter les lois du pays et pour nous parler à nous tous comme leur voix. Nous sommes encore disposés à garder le pacte que nous avons fait avec toi à ta première assemblée, pourvu que tu ne nous demandes pas des choses impossibles ; mais si tu veux t’entêter avec obstination à ce projet et employer la force, nous avons pris la résolution de nous retirer de toi et de nous choisir un autre chef qui nous laissera suivre en, toute liberté la croyance qui nous est agréable. Et maintenant, roi, choisis entre ces deux partis avant que l’assemblée se sépare. » Lorsque quelques années plus tard l’autre Hakon voulut réagir contre ces faibles commencemens du christianisme en Norvège, il est aisé de comprendre quel appui il trouva parmi des populations animées des sentimens que révèle ce discours.