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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/398

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empereurs, avant même de rien savoir, il avait télégraphié à Turin : « Ne me laissez pas sans instructions. Sachez bien que si, par suite de conventions à moi inconnues, le duc fait quelque tentative, je le traiterai en ennemi du roi et de la patrie. Je ne me laisserai pas chasser d’ici, dût-il m’en coûter la vie. » Rappelé par le cabinet piémontais, il était resté à Modène chef acclamé d’un gouvernement provisoire, relevant tous les courages, lançant du haut du vieux palais d’Este ce mot significatif, que l’Italie n’avait pas « contre-signé la paix de Villafranca. » Avant de s’éloigner de Turin, Cavour avait eu le temps de lui écrire : « Le ministre est mort, l’ami applaudit à votre résolution. »

Farini avait probablement tout sauvé par cette initiative ; il avait empêché une brusque restauration qu’aurait pu aisément tenter le duc réfugié au camp autrichien avec sa petite armée, de même que quelques troupes laissées par d’Azeglio en face des Marches empêchaient l’irruption des Suisses du pape dans la Romagne. Le premier moment passé, Farini saisissait bientôt l’occasion d’aller plus loin, étendant sa dictature de Modène à Parme, puis à Bologne même, et formant une sorte d’état provisoire sous le vieux nom latin de l’Emilie. Il n’avait du reste qu’une pensée, dont il poursuivait fiévreusement la réalisation : préparer quand même, à tout prix, la fusion avec le Piémont. « Le coup est fait, écrivait-il le jour de son entrée à Bologne, il n’y a plus qu’un seul gouvernement. A l’année nouvelle, de Plaisance à la Cattolica, lois, règlemens, les noms mêmes, tout sera Piémontais. Je ferai fortifier Bologne ; de bons soldats, de bons canons contre ceux qui voudront combattre l’annexion, voilà ma politique ! » C’était en effet toute sa politique. Farini eût peut-être encore échoué cependant, même avec sa réunion de l’Emilie, s’il n’y avait eu dans un de ces états de l’Italie centrale, en Toscane, un autre chef imprimant au mouvement son énergique et fière originalité, le baron Bettino Ricasoli.

Celui-là a été réellement après Cavour ou avec Cavour et dans un cadre précis un des grands acteurs de la transformation italienne. Par lui la Toscane s’est engagée irrévocablement dans la voie de l’unification, et l’adhésion de la Toscane était bien plus décisive que celle des petits duchés. Le baron Bettino Ricasoli avait marqué un moment en 1848 dans les révolutions de son pays comme un des chefs du parti modéré. Il avait même été de ceux qui avaient rappelé le grand-duc réfugié à Gaëte et qui avaient eu l’amertume de voir le prince se laisser ramener à Florence avec une escorte autrichienne ; il avait aussitôt renvoyé tout ce qu’il avait de décorations grand-ducales, et il s’était retiré dans son beau domaine de Brolio, du côté de Sienne, se livrant aux expériences