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une double pensée. Il ne demandait pas mieux en effet que d’avoir la main forcée, comme on le disait, de pouvoir se dégager le mieux possible et de couvrir du nom de l’Angleterre vis-à-vis de l’Autriche l’inexécution des engagemens de Villafranca et de Zurich. Qui avait eu le premier cette idée, de l’Angleterre ou de l’empereur ? Peu importe ; lord Cowley avait été l’intermédiaire utile d’une négociation par laquelle les ministres de la reine Victoria se prêtaient à faciliter l’évolution, lente et obscure encore, du souverain français. Napoléon III avait une autre pensée dont il ne faisait pas confidence aux ministres anglais. En se préparant à tolérer l’abrogation tacite des traités qui le liaient à l’Autriche, il tenait à ne pas se dévoiler, à se réserver jusqu’au bout. Il voulait laisser aux Italiens, avec la liberté, la responsabilité de ce qu’ils allaient faire, de cette création d’un grand royaume, qu’il n’encourageait pas ostensiblement et dont il était décidé à demander le prix. Et lui aussi, il s’abusait étrangement comme lord John Russell, comme lord Palmerston. Si les ministres anglais ne paraissaient pas s’apercevoir qu’en poussant aux annexions de l’Italie centrale ils allaient offrir à l’empereur un prétexte de faire revivre ses prétentions sur la Savoie, l’empereur, de son côté, ne voyait guère où le conduirait cette tentation qui n’avait pourtant rien d’extraordinaire. Les uns et les autres semblaient se faire un jeu de débrouiller ou d’embrouiller l’écheveau. en attendant qu’une main hardie vînt trancher le fil.

Dans ce travail confus des politiques, le plus embarrassé était encore le Piémont, placé entre toutes les influences, tour à tour attiré ou retenu par l’Italie et par l’Europe. Que le Piémont fût en connivence avec l’Italie, ce n’était point un mystère. Il la soutenait dans ses efforts, il la couvrait souvent de sa diplomatie, il lui prêtait ses officiers, il était en un mot pour elle le point de ralliement, un centre irrésistible d’action. Le Piémont ne se sentait pas moins obligé de maintenir officiellement une certaine distinction d’intérêts et de situations. Il avait des ennemis dangereux aux frontières, une armée française en Lombardie, des négociateurs à Zurich, des difficultés partout. Il était enchaîné par tous les liens d’un état régulier. Le Piémont ne pouvait ni braver ouvertement l’Autriche, qui après tout se bornait à réclamer l’exécution de la paix, ni se dérober aux pressions de la France dont les soldats campés à Milan lui servaient de protection, et le plus souvent au contraire il avait à concerter sa politique, même son langage, avec Paris. Le roi devait consulter sans cesse l’empereur, à qui il envoyait tantôt le général Dabormida, tantôt le comte Arese, ce loyal gentilhomme milanais toujours bien venu aux Tuileries, et Victor-Emmanuel, en recevant les députations qui allaient lui offrir la couronne,