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son vieux nom à la dynastie nationale dont il était le porte-drapeau. Il ne se défendait pas de ces souvenirs au milieu même de ses résolutions, et il pensait ce que d’Azeglio exprimait en écrivant à un Français de ses amis : « Vous sentez qu’il serait indécent de notre part de nous montrer indifférens à une séparation qui nous fait dire adieu à des frères d’armes de huit siècles. Mon sentiment personnel, — partagé, je crois, par tout le monde, — est d’éprouver un sincère regret de nous séparer d’une population qui a des qualités éminentes et rares, contre-balancées par des défauts insignifîans, qui nous a toujours fidèlement suivis dans toutes nos luttes italiennes, qui a rempli nos armées, nos administrations, notre diplomatie d’hommes dévoués, instruits et énergiques. Après cela, nous ne pouvons pas être pour les nationalités en deçà des Alpes et leur adversaire au-delà. Une fois que les Savoisiens auront dit : Nous nous annexons à la France ! ce sera comme un père qui marie sa fille selon ses désirs, l’embrasse le cœur serré, lui souhaite toute sorte de bonheurs et lui dit adieu. » Comme d’Azeglio, Cavour ne disait adieu à la Savoie qu’avec un serrement intérieur ; mais ce n’était pas pour lui une affaire de sentiment. Il avait pris sa décision en politique, pesant ce qu’il faisait, tranchant résolument « le nœud de la question, » comme il le disait, et surtout voyant plus clair et plus loin que ceux-là mêmes qui allaient lui demander une cession par laquelle il prétendait conquérir sa liberté. Si les plénipotentiaires français étaient tentés de s’exagérer leur victoire, ils auraient pu être détrompés au moment où l’acte devenait irrévocable. Cavour se promenait pensif et grave dans son cabinet, il ne se frottait pas les mains cette fois en entendant la lecture du traité déjà préparé. Il signait en silence, et retrouvant aussitôt sa bonne humeur, il s’approchait de M. de Talleyrand, à qui il disait, avec un sourire significatif : « Maintenant vous voilà nos complices ! »

Cavour, en mesurant d’avance toute la portée de l’acte décidé dès le premier jour dans son esprit, n’ignorait pas que cette question de Savoie allait soulever des orages et lui créer toute sorte de difficultés extérieures ou intérieures. Il avait tout accepté, même la chance de la mauvaise humeur de l’Angleterre, qui ne tardait pas en effet à s’émouvoir. Un moment rassurée après la paix par les déclarations du comte Walewski, l’Angleterre retrouvait tous ses ombrages aux premiers bruits d’une négociation nouvelle, et aussitôt elle se mettait à harceler Cavour. Elle le faisait assaillir de questions, de plaintes, d’observations. Lord John Russell prenait sa meilleure plume pour écrire à sir James Hudson : « En parlant au comte de Cavour du bruit relatif à l’annexion de la Savoie, vous ne lui dissimulerez pas que ce serait imprimer une tache à l’écusson de Savoie que de céder à la France le berceau de la famille illustre