Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/416

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui règne en Sardaigne… » Cavour, tout libre qu’il fût avec son ami sir James Hudson, ne laissait pas d’être parfois un peu embarrassé, et je ne sais vraiment s’il ne se tirait pas un peu d’affaire comme ce ministre piémontais du XVIIIe siècle, le marquis d’Orméa, qui, dans une situation semblable, pressé de déclarer si la Sardaigne avait un traité avec la France et avec l’Espagne, demandait qu’on lui mît la question par écrit, a Est-il vrai que le roi de Sardaigne ait contracté une alliance avec la France et l’Espagne ? » Le marquis d’Orméa écrivait bravement au bas : « Cette alliance n’existe pas. « Il n’y avait en effet de traité qu’avec la France ! Cavour agissait un peu de même. A toutes les questions dont on le pressait, il répondait que, « le gouvernement sarde n’avait pas la moindre intention de céder, d’échanger ou de vendre la Savoie. » Il ajoutait, il est vrai, que, « si le peuple de ce pays avait quelque proposition à faire pour l’amélioration de son sort, la proposition serait examinée par la voie parlementaire, et qu’il y serait fait droit de la manière que le parlement en déciderait… » Sir James Hudson savait bien ce que cela voulait dire.

La meilleure manière qu’eût Cavour de se débarrasser de l’Angleterre était encore de la renvoyer à la France, et c’est ici que l’Angleterre voyait tourner contre elle les efforts qu’elle poursuivait plus que jamais en ce moment même en faveur des annexions de l’Italie centrale. Elle hâtait précisément ce qu’elle savait être le prétexte des revendications de la France sur les Alpes. Elle se prenait dans ses propres filets. Lord Cowley disait à M. Thouvenel que, « selon l’opinion du gouvernement anglais, l’annexion de la Savoie à la France était une question européenne, » et M. Thouvenel répliquait : « Oui, si l’Angleterre veut accepter la proposition que l’annexion de la Toscane à la Sardaigne ne s’accomplira pas sans la coopération et l’assentiment des grandes puissances, nous accepterons la même condition pour la Savoie. » Vainement le ministère anglais promenait partout ses protestations. Lorsqu’il s’adressait à Vienne, l’Autriche lui répondait ironiquement que l’annexion de la Savoie n’avait rien de plus extraordinaire que celle de la Toscane. Lorsqu’il se tournait vers Saint-Pétersbourg, la Russie lui répondait qu’elle ne voyait dans la cession de la Savoie qu’une transaction régulière. Et l’empereur Napoléon III saisissait cette occasion pour accorder à la mauvaise humeur plus retentissante qu’efficace de l’Angleterre, l’opulent dédommagement du traité de liberté commerciale du 23 janvier 1860 ! Ceci simplifiait singulièrement la position diplomatique du gouvernement piémontais vis-à-vis de l’Angleterre aussi bien que vis-à-vis de la Suisse, qui restait seule à réclamer pour une portion de la Savoie neutralisée par les traités de 1815.

Les difficultés intérieures qui pouvaient se rencontrer, qui étaient