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pays étrangers. En Suisse, le Polytechnicon fédéral de Zurich s’est enrichi, en 1871, d’une section agricole et forestière ; l’Italie, le Danemark et la Suède ont aussi leur enseignement : ce dernier pays a 3 écoles supérieures. Les États-Unis sont entrés dans la même voie. Et si l’Angleterre n’a pas un système d’instruction agronomique, c’est que la grande propriété, par son esprit d’initiative et d’invention, par les capitaux abondans qu’elle applique avec intelligence à la mise en valeur du sol, la grande propriété dirige l’agriculture nationale. Encore n’est-elle point dépourvue d’enseignement : il existe des chaires spéciales à Oxford et à Cambridge. Il s’agit, on le voit, d’un besoin reconnu partout ; de tous côtés nous viennent les exemples et les leçons.

Il y a quelques années, le chimiste Liebig, s’entretenant avec M. Dumas de l’avenir de ces deux sources de la richesse des états, l’agriculture et l’industrie, lui disait : « Je remarque que, pour l’agriculture, nous en sommes aujourd’hui où l’on en était pour l’industrie en 1824 ou 1825. » En effet, l’agriculture commence à peine d’entrer dans la voie nouvelle où l’industrie avance si merveilleusement. Ce retard tient-il seulement à la faute des hommes, à l’insouciance et aux préjugés de l’opinion, à l’incurie et à la parcimonie des assemblées délibérantes, qui marchandaient à ces utiles services les crédits les plus modestes quand elles en prodiguaient d’énormes aux plus folles entreprises ? A la faute de l’administration, qui a aussi des reproches à se faire, car elle a trop souvent manqué d’activité, de confiance, de lumières, elle a laissé languir l’enseignement agricole au lieu de lui imprimer une impulsion diligente et suivie ? A la faute enfin des propriétaires et des cultivateurs, trop attachés à la routine ? Et devons-nous croire que l’application des sciences et la substitution des machines au travail manuel pourront accroître la production agricole dans les proportions dont l’industrie nous a donné l’étonnant spectacle ? Cela est au moins douteux ; les conditions sont pour cela, de part et d’autre, trop différentes. Il n’en est pas moins certain que si les progrès de l’agriculture ont été jusqu’à ce jour beaucoup trop lents, c’est qu’on n’a point su les hâter, et quand ces progrès doivent avoir pour effet d’augmenter par milliards le capital de la fortuné publique, ils méritent bien qu’on les achète au prix de quelques sacrifices. S’il est vrai que l’enseignement agricole ne saurait produire de sérieux résultats, pourquoi continuez-vous des dépenses stériles ? Que si, au contraire, vous estimez que l’efficacité en est réelle et reconnue, il faut savoir le répandre intelligemment et largement, non d’une main hésitante et avare, comme on l’a fait jusqu’à présent.


BERARD-VARAGNAC.