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Du tabac aussi ! s’écria l’un d’eux. — Sans doute, du tabac, et tout ce qui pourra tenir dans mon sac, lui répondis-je, car cette fois je resterai un long mois à Maradja, nous chasserons ensemble et nous tuerons tout le gibier de la montagne.

Il est difficile de tromper un Grec ; mais j’y mis tant d’ardeur et de conviction qu’ils me crurent, et qu’ils applaudirent à mes dernières paroles. En attendant, il était convenu que, le lendemain matin, deux d’entre eux viendraient me prendre pour chasser. On se quitta sur cette promesse ; je constatai que ma poire à poudre avait déjà disparu, et j’aurais dormi d’un fort mauvais sommeil si la vermine n’eût pas suffi à me tenir éveillé ; on ne pouvait coucher dehors ; les nuits, si douces à Trisonia, étaient fraîches et humides ici ; un air malsain qui seul justifia, durant mon séjour, le surnom de puants donné aux Locriens, courait sur la montagne et, disait-on, donnait la fièvre. Je m’étais installé dans la maison, sur un mauvais tapis, couché sur mon fusil. Deux hommes s’étaient étendus par terre, près de moi ; la femme dormait au fond de la pièce, la main sur le berceau de l’enfant. Pendant que je suivais vaguement du regard ce tranquille spectacle, à peine distinct à la clarté de la nuit, de mon tapis, de mes voisins, une légion d’insectes se jetait sur moi, m’envahissant tout entier, par le cou, par les jambes, par les bras ; je les sentais monter, descendre, en bandes toujours renouvelées, et j’étais couvert de mille piqûres, quand, n’y pouvant plus tenir, je sortis pour marcher au grand air et me dérober autant que possible à la voracité de mes ennemis.

Le soleil n’était pas levé que les deux palikares étaient déjà près de moi. J’aurais voulu un peu de poudre ; ils m’affirmèrent que je n’en avais pas la veille, et que d’ailleurs il fallait renoncer à en trouver 10 grammes dans tout le village. Que faire ? Je partis avec eux, bien résolu à réserver les deux coups de mon fusil chargé à balles, et je passai la matinée aussi désespéré que peut l’être un chasseur qui fait lever à chaque pas lièvres et perdreaux à profusion sans pouvoir les tirer. Je me trouvai heureux de rentrer quand j’eus parcouru toute la montagne. J’allais racheter le soir même toutes ces déceptions par une excursion au Xéro-Vouni (montagne desséchée), la plus haute cime de la Locride-Ozole, d’où j’ai découvert le panorama le plus étendu que l’on puisse rêver, le plus digne d’attirer ces voyageurs qui ne reconnaissent de grandeur et de beauté qu’à la nature, et qui cherchent, au prix de mille fatigues, à la surprendre encore sauvage et vierge.

Mes deux nouveaux amis s’étaient vite attachés à moi ; je trouvai moyen d’en tirer le meilleur parti possible en leur demandant de me conduire au sommet du Xéro-Vouni. Tous ces gens-là, encore