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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/469

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ne pouvais apercevoir d’Aigion. — A l’ouest et à l’est, — toujours en face, — d’autres montagnes verdoyantes se succèdent au bord du golfe, depuis Corinthe, Acrita, jusqu’à Patras, tandis que d’autres, plus hautes encore, lèvent leurs têtes dépouillées derrière, elles, empruntant aux feux de l’horizon les teintes les plus diverses.

Devant l’étendue d’un pareil tableau le regard de l’homme devient trop étroit ; il ne suffit plus à saisir tout cet horizon d’un seul coup d’œil. — Le golfe, bleui comme un lac, semé çà et là de quelques voiles latines blanches, tourne légèrement à l’ouest vers Naupacte, la ville aux vieux créneaux, et se resserre un peu plus loin entre ces deux aiguilles de terre qu’on a appelées « les petites Dardanelles, » portant à leur extrémité deux anciens forts construits là pour garder l’entrée, et qui, lassés d’une longue inaction, semblent se menacer l’un l’autre.

Plus loin encore, deux presqu’îles s’avancent dans le golfe et forment avec les deux forts une sorte de lac ouvert aux deux côtés. Le golfe alors s’élargit et découvre Patras, aux maisons blanches, dispersées dans la plaine ; les basses montagnes qui l’entourent me permettent d’apercevoir, dans un océan de douce lumière rosée, les montagnes bleuies de Zantie, l’île des fleurs. Elle s’étend tout entière sur la mer Ionienne déjà pâlie ; un large bras de mer serpente entre ses rives et la côte fertile de Pyrgos et de Gastouni, et au-dessus la pleine mer brille, rongée par la presqu’île ronde de Kalogria, l’ancien promontoire Araxus, qui s’avance au nord-est de Zante. — Au-dessus encore, tout à fait à l’ouest, la riante Ithaque avec ses hautes montagnes bleues couronnées de feu, et d’autres petites îles semées tout autour, éclatent comme une parure de rubis sur le rivage déjà sombre de Céphalonie.

La plume ni le pinceau ne sauraient rendre dans leur entière vérité les impressions de toute sorte qui me frappèrent à ce moment, pas plus que mes regards ne pouvaient embrasser dans son ensemble l’immensité de ce spectacle. Les couleurs si variées et pourtant si distinctes se confondent dans la mémoire éblouie ; les impressions multipliées à l’infini dans notre esprit ne trouvent plus de termes pour s’exprimer, et l’âme se concentre muette dans un sentiment forcément unique d’extase et de contemplation. Je ne pouvais détacher mes yeux de ce tableau ; tout ce que j’avais lu, tout ce que j’avais appris, me revenait à la pensée ; il me semble que j’ai mieux compris à cet instant pourquoi l’antiquité ne cherchait pas dans le vague de l’infini la demeure de ses dieux : en présence de cette nature si grandiose, l’homme ne pouvait rêver pour eux de plus splendide séjour que ces belles montagnes qu’un soleil d’or éclaire, et dont les cimes brillantes semblent toucher aux cieux.