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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/51

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distinction de la cause première et de ses œuvres, par conséquent, quelque transcendance. La transcendance absolue serait une telle séparation de Dieu et du monde, qu’ils n’auraient plus rien de commun, qu’on ne pourrait concevoir une action quelconque de Dieu sur le monde. L’immanence absolue serait une telle identité de Dieu et du monde que la cause ne ferait plus qu’un avec son effet, la substance avec ses phénomènes, l’absolu avec le relatif. « Or il n’y a, dit M. Janet, aucun exemple en philosophie de l’une ni de l’autre de ces deux conceptions. Même dans le théisme scolastique, ou dans celui de Descartes et de Leibniz, quiconque approfondira la théorie du concursus divinus ou de la création continuée, verra des traces profondes de la doctrine de l’immanence. Réciproquement, dans le panthéisme de Spinoza ou de Hegel, quiconque réfléchira sur la distinction de la natura naturans et de la natura naturata, de l’idée et de la nature, reconnaîtra manifestement une doctrine de transcendance. »

On ne pourrait dire que la pensée de M. Janet oscille entre la transcendance et l’immanence. Il est encore trop de l’école de nos maîtres pour hésiter. Il conclut donc à la transcendance de la Cause finale suprême, mais avec beaucoup de distinctions, de concessions, d’explications plus ou moins favorables à la thèse de l’immanence, toujours inspiré par le sentiment de la vérité et de la mesure, et éclairé par les lumières d’une science aussi profonde qu’étendue. Nous permettra-t-il toutefois une réflexion ? Cet esprit si ferme, si sûr et si net semble avoir conscience de la subtilité des solutions du spiritualisme sur de tels problèmes. Ce n’est plus cette discussion irrésistible du premier livre sur le principe de finalité. Malgré son aisance en tout exercice de la pensée, on dirait qu’il sent un pareil terrain mal affermi sous ses pas. Citons encore quelques lignes, afin que le lecteur puisse mieux en juger : « En résumé, l’idée d’une nature douée d’activité interne, travaillant à une finalité interne, quoique relative et subordonnée, et qui n’est autre chose que la pensée leibnizienne bien comprise, n’a rien en soi qui exclue une cause supra-mondaine. Cette cause se distingue de la nature en ce qu’elle est d’avance tout entière, et ramassée en soi, un absolu, tandis que la nature ne peut qu’exprimer et manifester cet absolu à travers le temps et l’espace, sans jamais le réaliser complètement. C’est cette impuissance même de la nature qui doit nous forcer à conclure qu’elle n’est pas elle-même l’absolu, car un absolu qui se cherche sans cesse sans se trouver est une notion contradictoire. »

Reste la question de la finalité consciente ou inconsciente. M. Janet en sent toute la difficulté, et se prête encore, à toutes les distinctions et à toutes les réserves qui lui semblent permettre un