Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/606

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pouvaient conduire sans secousse à un autre régime. C’était d’abord l’abolition, ou tout au moins la restriction et la limitation des successions collatérales. Si l’on fixe en effet aujourd’hui la dernière limite du droit de succéder au douzième degré, pourquoi pas au dixième, au huitième, au sixième ? Ainsi le droit de succéder se trouverait peu à peu réduit sans rien changer d’essentiel à l’état actuel des choses. Un second moyen consistait à augmenter l’impôt sur les successions, et à faire passer ainsi entre les mains de l’état une partie de plus en plus grande du capital social. En même temps, par l’augmentation du nombre des banques et la réduction du taux de l’escompte on mettait le capital et le crédit à la disposition du plus grand nombre. Enfin, revenant au projet primitif de Saint-Simon, à celui qui dès 1817 avait été le point de départ de tout le mouvement socialiste, Enfantin demandait « la mobilisation de la propriété foncière, » affranchie du joug hypothécaire et l’assimilation des propriétaires fonciers aux commanditaires industriels.

En supposant réalisé le plan social dont nous venons de donner l’esquisse, on se demandera quelle devait être l’organisation politique de la nouvelle société. Qu’adviendrait-il du pouvoir exécutif, du pouvoir législatif, du pouvoir judiciaire, des libertés publiques, de la liberté de la presse, de l’individu, de la conscience, du travail, en un mot de ce que l’on a appelé les principes de 89 ? Sur toutes ces questions, il faut avouer que les saint-simoniens étaient vagues, obscurs, très discrets, soit qu’ils craignissent de se compromettre avec le gouvernement d’alors, qui leur laissait la parole libre sur les réformes sociales, mais n’eût pas permis un appel direct à un nouveau régime politique, soit que, craignant de froisser des opinions populaires, ils aient jugé à propos de laisser dans l’ombre la partie la moins séduisante de leur système. Mais par leurs attaques continuelles contre le libéralisme, par leurs critiques de ce qu’ils appelaient la politique constitutionnelle, ils donnaient à entendre qu’ils considéraient les garanties politiques comme des mesures de transition, bonnes pour les époques critiques, et inutiles aux époques organiques. Au reste, le caractère propre de la politique du saint-simonisme se manifestera plus clairement lorsque nous nous serons rendu compte de sa théologie.


II. — LA RELIGION.

C’est Saint-Simon lui-même qui, dans son Nouveau christianisme, avait suggéré à ses disciples l’idée que, pour construire une société nouvelle, il fallait une religion nouvelle. Au reste l’idée d’un grand et prochain renouvellement religieux, soit par le christianisme, soit en dehors du christianisme, se manifeste à la fois