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à son ciseau ; il est à la fois l’artiste et le modèle, et c’est de son propre sein qu’il tire cette série infinie de créations qui manifestent sa puissance, sans jamais l’épuiser.


V

La science a révélé à l’esprit moderne un monde dont l’antiquité ne s’était pas doutée. Celle-ci avait parlé avec grandeur, avec éloquence de l’ordre universel, sans en connaître les lois, ni les principes élémentaires. Il n’y a rien de vil dans la maison de Jupiter, avait dit un de ses sages les plus renommés ; mais il fallait les enseignemens de la science, surtout dans les deux derniers siècles, pour juger de la vérité de cette belle pensée. Oui, tout est bon, tout est beau, tout est grand, dans cet immense univers, pour qui le contemple à la lumière des notions scientifiques, soit dans l’ensemble de ses grandes masses, soit dans le détail de ses atomes. Partout, en effet, l’ordre se manifeste, et là où paraît l’ordre, éclatent la bonté, la beauté, la grandeur des œuvres. Il y a deux genres de progrès qui n’ont manqué ni l’un ni l’autre au travail de la science. En même temps qu’elle a observé les faits, elle a découvert les lois. Si elle s’étend de plus en plus, par la variété croissante de ses expériences, elle s’élève de plus en plus par la généralité de ses théories. Pendant que la physique est en voie de ramener aux lois mécaniques du mouvement les lois de la lumière, de la chaleur, de l’électricité, du magnétisme, la chimie ne désespère point de réduire la loi des affinités à une loi plus générale qui ferait revivre, dans de nouvelles conditions, cette vieille hypothèse de l’unité de composition tant rêvée et jamais démontrée par l’alchimie du moyen âge. Ne va-t-elle pas plus loin encore ? Cet ordre du monde fondé sur le concours d’atomes séparés entre eux par le vide ne satisfait qu’une école de savans, l’école atomistique, à laquelle manque le sentiment de l’unité. On se demande plus que jamais, dans le monde savant, si c’est là le dernier mot de la science sur l’ordre cosmique, si le vide n’est pas comme le néant, un mot vide de sens, si le monde n’est pas plein d’êtres, si, en un mot, l’être universel ne serait pas une vérité scientifique. L’hypothèse s’accrédite de plus en plus d’une matière impondérable, l’éther, véhicule nécessaire de la transmission de la lumière, comblant tous les vides que l’imagination se représente entre les particules de la matière pondérable ; et c’est ainsi que la science tend à faire du monde un tout absolument continu, une sorte d’unité cosmique.

Si l’on compare le cosmos de la science, tel que de Humboldt l’a retracé dans son admirable esquisse, au monde imaginé par la théologie ou rêvé par la métaphysique des anciens temps, on