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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/643

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en donnant l’exemple du désintéressement. » L’excitation populaire, l’exagération forcée de l’impôt et plus encore l’état du trésor exigent à ce sujet une mesure de salut public.

Mais, dès qu’il en est question, l’agitation la plus vive se manifeste dans la classe des samuraï, tantôt sous la forme de pétitions hardies, tantôt sous une forme tumultueuse et insurrectionnelle, comme au printemps de 1874. L’opposition se personnifie dans le prince de Satzuma, qui n’accepte une place dans le conseil suprême que pour y faire entendre les doléances de la classe qu’il représente, et donner brusquement sa démission sitôt qu’on refuse d’y faire droit, puis se retirer menaçant dans sa province. L’influence dont il dispose, la toute-puissance qu’il exerce sur les hommes de son clan, en font un adversaire redoutable, avec lequel jusqu’ici on a mieux aimé user de prudence qu’engager la lutte. Sa dernière retraite date du 27 octobre 1875 ; elle a mis le cabinet dans un état de malaise visible, en rompant la trêve avec les samuraï. Mais le gouvernement semble cette fois décidé à ne pas se laisser tenir en échec par un vassal : il a réussi à établir dans la province même de Satzuma des juridictions que jusqu’ici on n’avait pu y introduire, et qui assureront désormais l’exécution des décrets de Yeddo ; le service militaire, qui était naguère le privilège des samuraï, est devenu obligatoire pour tous les jeunes gens, et permet au gouvernement de recruter une armée ailleurs que parmi ses adversaires ; enfin la défaite subie à Saga par les rebelles de 1874, leur a ôté à la fois le prestige et la confiance en eux-mêmes, de sorte que le moment paraît favorable pour prendre, à l’égard des pensions, une mesure radicale que justifie la raison d’état, plus que l’équité.

Si graves d’ailleurs que soient ces embarras, de plus graves se sont présentés à toutes les époques chez d’autres peuples qui en ont triomphé ; il n’en est point que ne puisse vaincre l’énergie d’une nation unie. Aussi ce tableau ne serait-il pas complet, si nous n’examinions en dernier lieu l’état moral de la nation, ses mœurs politiques et les caractères de l’esprit public.


III

Dans un peuple divisé en castes, c’est une série de nations superposées qu’il faut connaître, avant de fixer les traits du caractère national. On peut ici en distinguer trois : une minorité infime de nobles, d’hommes de cour ou de parvenus, qui gouvernent, ou aspirent à gouverner, une caste aristocratique d’anciens daïmios et samuraï formant aujourd’hui les kazoku et les shizoku, enfin le peuple, depuis le riche marchand de soie jusqu’au misérable