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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/646

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chat un chat, et certains ministres des incapables. Si bien que le gouvernement s’est vu obligé de fouiller dans l’arsenal si bien fourni des lois françaises pour en extraire les armes qui lui manquaient contre cette nouvelle venue tout à fait inattendue, la liberté de la presse.

Le nombre des organes de publicité périodiques qui est passé dans les quatre dernières années de 1 à 15 et surtout leur ton inquiétaient sans doute vivement le cabinet, car il a frappé fort. En vertu du décret du 28 juin 1875, les journaux sont soumis à l’autorisation préalable, à la signature obligatoire et à des restrictions rigoureuses dans le choix de leurs sujets ; les infractions exposent leurs auteurs à des peines qui peuvent aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement ou même, en cas d’excitation au crime suivie d’effet, égaler la pénalité infligée à l’auteur principal. On voit que du premier coup l’Extrême-Orient est arrivé aux procès de tendance. Malgré cette rigueur excessive, l’opposition ne capitule pas ; les écrivains prennent seulement le soin d’aiguiser leurs traits avec assez de finesse pour qu’ils passent à travers les mailles du décret. Il se forme ainsi parmi eux des habitudes de polémique railleuse et délicate auxquelles se prête à merveille la tournure d’esprit qui prédomine chez les Japonais. L’ironie leur fournit des ressources inépuisables. Voici par exemple un passage du Choya-Shimbun dirigé contre la dureté des lois sur la presse :


« La date de l’apparition de nos dieux, descendant du ciel, et celle du Koran des mahométans sont obscures, ce qu’il faut sans doute attribuer à la négligence des historiens. Il y a plus, une certaine obscurité plane toujours sur tout ce qui tombé du ciel, hormis la pluie, la neige et la grêle ; mais à notre heureuse confrérie, la presse, le ciel a départi un bienfait sans pareil. Depuis que nous l’avons reçu, nous n’avons pu nous empêcher de faire des offrandes et de nous confiner dans le recueillement et la solitude (allusion aux amendes et à la prison) ; mais nous admettrons, si l’on veut, que c’est là un acheminement au bonheur. Grâce à ce présent céleste, nos souscripteurs et nos collaborateurs ont augmenté, le style de nos écrivains s’est affermi, nos copistes et nos compositeurs sont dans la joie. Quant à nos propriétaires, inutile de dire que c’est eux qui profitent le plus et sont les plus contens ;… mais contrairement à l’apparition des dieux et de Mahomet, notre félicité a une date bien connue : c’est le 28 juin 1875 (date du décret répressif), et nous nous proposons de la consacrer annuellement par des actions de grâces. »


Le trait n’est pas toujours mordant, mais il touche juste. Voici maintenant une appréciation sur la sincérité financière du dernier budget présenté par le ministre du trésor :