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de mille interprétations diverses, attendu que chaque parole de l’Écriture n’est pas astreinte à des obligations aussi sévères que chaque effet de la nature… Je crois donc qu’on ferait prudemment de ne permettre à personne d’employer les textes de l’Écriture sainte et de les obliger, en quelque sorte, à soutenir pour vraies certaines propositions de science naturelle dont le contraire, un jour venant, peut nous être démontré par les sens ou par quelques raisonnemens mathématiques. »

Cette noble lettre dont les théologiens d’aujourd’hui ne méconnaîtraient point la modération, mais d’où s’exhalait alors un dangereux parfum de nouveauté, passa sans doute de mains en mains, fut lue par des personnes mal disposées, entretint peut-être l’agitation qu’avait causée la sortie véhémente de Thomas Caccini, et fournit à un autre dominicain, Nicolas Lorini, l’occasion de dénoncer Galilée devant la congrégation du saint-office. Il y avait là, disait le dénonciateur, des propositions qui paraissaient suspectes et téméraires, des opinions contraires au texte des saintes Écritures. D’ailleurs, ajoutait-il, Galilée et ses disciples parlaient peu favorablement des Pères de l’église, de saint Thomas d’Aquin, d’Aristote, dont la philosophie avait rendu tant de services à la théologie scolastique. L’inquisition, malgré ses recherches, ne put se procurer l’original de la lettre, que Castelli avait rendue à son maître, et dont celui-ci, par prudence, ne voulut plus se dessaisir. On se contenta d’examiner la copie envoyée par Lorini ; on y trouva quelques phrases mal sonnantes, mais rien en somme qui fût décidément contraire au langage de l’église. On continuait néanmoins à surveiller les paroles de Galilée, on interrogeait deux ecclésiastiques toscans sur les discours qu’il avait pu tenir devant eux, on soumettait à l’examen les lettres qu’il avait publiées sur l’observation des taches du soleil.

Galilée, quoiqu’il ne se doutât point de la surveillance rigoureuse dont il était l’objet de la part de l’inquisition, soupçonnait vaguement l’approche d’un péril. Pour le conjurer, il prit le parti de retourner à Rome en 1615 et de plaider lui-même sa cause là où il lui importait le plus de la gagner. On a quelquefois prétendu qu’il avait été mandé à la barre du saint-office ; ceux qui soutiennent cette opinion se trompent de date, ce ne fut que beaucoup plus tard, au commencement de son second procès, qu’on lui intima l’ordre de se rendre à Rome. Cette fois il s’y rendait volontairement, non plus avec la confiance intrépide du premier voyage, mais avec l’espoir très vif encore de désarmer ses adversaires par la netteté de ses explications. Peut-être comptait-il autant pour les convaincre sur la grâce piquante de son esprit et sur la séduction personnelle