Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/720

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une campagne où il déploie plus d’éloquence et de passion que de prévoyance. Les massacres de la Bulgarie sont devenus le thème de tous les discours, le prétexte d’une série de manifestations et comme le signal d’une évolution d’opinion qui ne serait certes pas sans danger, si l’esprit de parti était aussi puissant que bruyant. Peu s’en faut qu’un certain nombre d’Anglais ne soient aujourd’hui disposés à expulser les Turcs de l’Europe, à livrer les provinces ottomanes à la Russie, ou à se laver les mains de tout ce qui peut arriver, comme le disait récemment M. Lowe. On fait ni plus ni moins le procès du ministère accusé de protéger la Turquie, d’avoir favorisé indirectement par ses connivences les « horreurs » de la Bulgarie, et ces jours derniers encore on réclamait au plus vite la réunion du parlement. La campagne est bien menée, on n’en peut disconvenir. Heureusement le ministère ne se laisse point ébranler. Aux attaques violentes, M. Disraeli, le nouveau lord Beaconsfield, répond par des sarcasmes, en prédisant à M. Gladstone qu’il regrettera sa dernière brochure sur la Bulgarie, et en assurant que si l’ancien chancelier de l’échiquier veut renverser un ministère, ce n’est pas précisément le ministère turc qu’il a en vue. A une députation de la Cité qui vient de lui porter une adresse, presqu’une remontrance, lord Derby répond avec le sang-froid d’un homme qui se sent sur un terrain solide, qui ne veut ni abandonner les droits de l’humanité, ni trahir les intérêts permanens du pays, ni se livrer aux aventures. Ce discours de lord Derby est un modèle de netteté, de précision, de déférence pour l’opinion en même temps que de fermeté, et, à vrai dire, le chef du foreign-office ne pouvait répondre mieux qu’il ne l’a fait en interpellant à son tour ses interlocuteurs, en leur demandant ce qu’ils Voulaient, en leur démontrant le danger de tous ces projets, à la fois passionnés et vagues, sans cesse discutés dans les meetings. Lord Derby était d’autant mieux placé pour parler avec autorité que depuis un an il a certainement contribué plus que tout autre, plus que le brillant lord Beaconsfield, à relever la politique de l’Angleterre, et il vient de donner une nouvelle preuve de la sûreté de son esprit par ces propositions de paix auxquelles toutes les puissances se sont ralliées. Ce n’est pas moins une chose grave que, même en Angleterre, un ministère soit réduit à défendre presque au prix de son existence, ou pour le moins de sa popularité, une politique de raison, et les chefs de l’agitation anglaise ne s’aperçoivent pas que par cette guerre qu’ils poursuivent contre le cabinet, par les idées irréalisables qu’ils propagent, ils ne font qu’ajouter aux difficultés d’une médiation laborieuse.

Oui sans doute, les difficultés sont partout aujourd’hui, elles sont pour tous les gouvernement qui ont à compter avec l’opinion, avec les embarras de leur situation intérieure ou extérieure, et en définitive une chose est certaine : pour tous les cabinets, pour toutes les diplomaties,