Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/725

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et écrivait à peine sa propre langue. Il avait la sagacité et la patience qui fait le génie. Si jamais le mot de Buffon a été vrai, c’est depuis les découvertes des Champollion, des Burnouf, des Smith. Le missionnaire, — ce nom convient aussi à ceux de la science, — partit pour Mossoul ; il attaqua avec ardeur ces collines artificielles échelonnées dans le désert sur les bords du Tigre, et qui ne sont autre chose que les anciens palais de Ninive écroulés sur eux-mêmes. Ce hasard que l’oisif appelle la chance et le travailleur la justice guida sa pioche dans un de ces tumulus où était ensevelie la bibliothèque du roi Assurbanipal ; quelques mois après, au commencement de 1873, il nous envoyait les chants retrouvés de ce poème d’Isdubar qui mit en émoi toute la science : c’était une version assyrienne de la création, du déluge, des premiers jours de l’histoire, presque parallèle à celle de la Genèse, — peut-être le commencement de ces « Annales des anciens temps » que le roi Assuérus, au dire du livre d’Esther, se faisait lire pour tromper son insomnie.

Tous les esprits curieux savent aujourd’hui quelles sont à la fois la difficulté et l’importance des études cunéiformes. Déchiffrer des langues inconnues dans ce lacis de clous gravés sur la terre séchée, c’est déjà une des plus belles audaces du génie humain ; Grotefend, Burnouf, Rawlinson, se sont illustrés en trouvant ou en perfectionnant la clef de ce problème. George Smith, moins préoccupé que ses maîtres d’établir la grammaire des idiomes ressuscites et poursuivant de prime-saut ses découvertes historiques, joignait au déchiffrement ce travail invraisemblable : rechercher des fragmens émiettés, épars sur des hectares de terrain ou pêle-mêle dans les caisses du British-Museum, les assembler en éliminant tout ce qui n’appartenait pas à son sujet, et reconstituer avec eux un ouvrage particulier. — Qu’on se figure un lettré persan dans les décombres de la Bibliothèque nationale, cherchant les feuillets d’une de nos Histoires dans ces milliers de papiers épars, en langues et en caractères étrangers. — Et ce n’est pas là un jeu subtil. Après la découverte des hiéroglyphes, celle des cunéiformes est la plus féconde de notre siècle dans les sciences historiques : un jour peut-être Ninive l’emportera même sur Thèbes, puisqu’on retrouve de ce peuple qui écrivait sur la brique ce qu’on ne peut espérer de rencontrer en Égypte, des bibliothèques entières, — le rêve de la science ! Le monde s’agite aux choses vaines et passe, ignorant souvent, dédaigneux parfois, devant les rares travailleurs voués a ces dures et obscures études. Leurs luttes et leurs triomphes ne sortent pas d’abord du cercle d’une centaine d’initiés : pourtant ils soulèvent lentement le voile qui tombera un jour devant nos neveux, éclairant d’une brusque clarté la nuit des origines. J’ai la foi profonde que cette clarté, entrevue par tous ceux qui pensent, nous viendra en grande partie des sciences historiques du vieil Orient, de la Chaldée et de l’Égypte : nous ne la verrons pas sans doute, mais