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ont commencé les premiers. Au mois de mai, vêtus de longues tuniques blanches comme des lévites d’Israël, la poitrine traversée d’une écharpe bleue, le chef couvert du chapeau noir, le vulgaire tube de soie, ce qui leur donnait un aspect étrange, ils ont processionné par les rues en bandes nombreuses, à cheval, en voiture, à pied, puis le soir sont rentrés chez eux par groupes isolés, mais tous chancelans sous les fumées de l’alcool.

Après l’honorable corporation des bouchers, ce furent les glorieux survivans de l’armée du Potomac, accourus à la voix de leur vénéré chef, le général Dix, naguère ministre des États-Unis à Paris. Il prononça devant eux un beau discours, où il se plut à rappeler les étonnans progrès accomplis par l’Union depuis cent ans. Autrefois il fallait douze jours pour aller de Philadelphie à Boston, dans de pauvres diligences, par de mauvaises routes ; aujourd’hui, sur le rail, par la locomotive, on ne mettait plus qu’un jour. Alors les États-Unis se développaient seulement sur les rivages atlantiques ; depuis, ils avaient rejoint le golfe du Mexique et l’Océan-Pacifique lui-même. De New-York à San-Francisco, ou plutôt du Missouri au Sacramento, on avait mis par terre d’abord vingt jours en diligence, puis en chemin de fer et d’un océan à l’autre seulement sept jours, et une locomotive remorquant un « train-éclair » venait précisément de réduire de moitié cette distance. Quelles conquêtes en si peu d’années ! Les applaudissemens frénétiques de l’auditoire avaient rappelé au vieux général que sa voix avait un écho dans tous les cœurs, et que le patriotisme n’avait cessé d’être la qualité dominante de ses compatriotes. Le général Grant, en déclarant l’exposition ouverte, avait déjà, dans son discours, célébré les efforts et les progrès du peuple américain, et marqué en traits précis l’énorme espace parcouru en cent ans. L’un et l’autre orateur s’étaient peut-être trop complu dans ce thème élogieux et m’avaient pas fait assez la part du vieux monde dans le développement des États-Unis. Les Américains ne sont pas précisément une nation encore à son aurore ; ce sont des Européens transplantés dans le Nouveau-Monde, et qui y sont arrivés chacun avec ses qualités distinctives. Les étonnans progrès que les Américains ont accomplis, ils les doivent sans doute en partie à leurs institutions, mais aussi ils n’ont pas de voisins gênans, pas de frontières à défendre. Depuis la terrible guerre de sécession, ils n’ont pas su rallier le Sud, et dans l’administration publique règne une corruption effrénée qui marquera d’un trait regrettable, sur lequel l’histoire inflexible ne fera que passer davantage son burin, la présidence du général Grant. Tel est le son que l’esclave eût fait entendre derrière le général Dix et le président lui-même, si, comme le triomphateur