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de selle, bien que cette dépense soit sans proportion avec les maigres revenus de Mme Davilow, la fait recevoir membre de l’Arckery-Club de Brackenshaw, le rendez-vous de l’élégance et de la mode dans le pays, aide enfin de tout son pouvoir à la mettre en évidence, persuadé qu’elle arrivera ainsi à quelque grand mariage. Le mariage, s’il est le but du recteur, n’est pas précisément celui de Gwendoline ; elle sait qu’une fille doit se marier un jour ou l’autre, et croit être sûre pour sa part de rencontrer un parti exceptionnel, mais les liens domestiques n’ont pour elle aucun charme : ne plus faire tout ce qu’elle voudra, avoir des enfans, l’effraie. Sans doute, le mariage étant une promotion, il faut s’y résigner, mais comme à un moyen seulement. Le rêve de cette frêle créature de vingt ans est de mener le monde et de suivre son propre caprice. A d’autres la sottise d’abandonner leur vie au courant, comme une barque démâtée qu’aucune volonté ne dirige ; quant à elle, Gwendoline compte tirer le meilleur parti possible de toutes les chances que lui offrira la destinée ; pour ce qui est des circonstances adverses, elle saura bien les maîtriser ! Toute volontaire et impérieuse qu’elle soit, Gwendoline Harleth a le charme féminin auquel nul n’échappe. L’accueil qui lui est fait dans la société des environs dépasse l’attente même de M. Gascoigne : elle éclipse toutes les jeunes filles ; les admirateurs l’entourent à l’envi l’un de l’autre. Dans le nombre se trouvera-t-il un mari ? On en peut douter. Déjà M. Middleton, jeune curé d’avenir, neveu d’un évêque, recule après s’être avancé avec l’imprudence d’un phalène qu’attire une flamme dangereuse ; sans doute il a fini par découvrir que cette altière beauté ne possède pas toutes les grâces spéciales indispensables chez l’épouse d’un membre du haut clergé anglican.

Le seul amoureux qui se soit encore déclaré à Gwendoline est l’un des fils du recteur, Rex Gascoigne, simple étudiant, qui, avant la fin de la première semaine des vacances, a le cœur pris au point de ne pouvoir plus penser à sa carrière future sans y associer sa belle cousine. Il l’accompagne à cheval, chasse avec elle, ne la quitte pas plus que son ombre, et elle encourage vaguement ce petit roman qui la distrait, sans avoir la moindre intention toutefois d’y donner suite. Ce qui lui plaît chez Rex, c’est la timidité. Il n’ose pas lui faire la cour trop ouvertement, chose qu’elle déteste. Coquette comme elle l’est, Gwendoline a une sorte de chasteté farouche. Tandis que dans une chasse le pauvre Rex, tout palpitant auprès d’elle, cherche à lui faire comprendre ce qu’il éprouve, elle n’est sensible qu’à la voix des chiens, au galop d’un bon cheval ; le va-et-vient des habits rouges sur la verdure excite les animal spirits qui forment le fond de ce tempérament d’amazone. Rex