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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/841

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termine par un fâcheux accident sa campagne sentimentale : le vieux cheval de son père n’étant pas de force à le porter dans les aventures qu’il plaît à miss Gwendoline de courir, tombe et se couronne. Rex lui-même a l’épaule démise. Son père, content que les choses n’aient pas été plus loin, lui fait quitter le pays ; voilà tout le fruit qu’il tire de ses attentions de cavalier servant. Peu importe à Gwendoline que la passion qu’elle a inspirée persiste dans ce jeune cœur, tenace et douloureuse : — Je me demande, dit-elle, comment font les femmes pour s’éprendre de quelqu’un. Dans les romans c’est facile, mais les hommes en chair et en os sont trop ridicules !

Un homme survient cependant qu’elle ne trouve point ridicule, bien que, pas plus que les autres, il ne fasse naître en elle aucune émotion particulière. C’est M. Mallinger Grandcourt, le neveu de sir Hugo Mallinger, propriétaire du château voisin de Diplow. M. Grandcourt est héritier présomptif de la baronnie, son oncle n’ayant que des filles, et comme il passe pour le type accompli d’un gentleman, toutes les ambitions des mères de demoiselles à marier sont en éveil. La pairie, une grande fortune, une maison à Londres, deux magnifiques résidences à la campagne, des chevaux de coursés, un équipage de chasse, le high life avec toutes ses splendeurs, voilà ce qui conviendrait à Gwendoline ! M. Gascoigne ne peut s’empêcher d’y songer. Quelques bruits fâcheux sont peut-être parvenus jusqu’à lui sur la première jeunesse de Grandcourt, mais la naissance et la richesse rendent vénielles bien des habitudes qui, sans cette double excuse, révolteraient les honnêtes gens. Quoi qu’ait pu faire Grandcourt, il ne s’est pas ruiné.

Mme Davilow de son côté rêve en M. Grandcourt l’idéal des gendres ; mais, tout accompli qu’il soit, plaira-t-il à Gwendoline ? La première entrevue a lieu au château de Brackenshaw, où l’on célèbre l’Archery-Meeting. Une réunion choisie d’archers féminins vient se disputer la flèche d’or dans un de ces parcs admirables comme l’Angleterre seule en possède, et rien n’est plus charmant que les attitudes auxquelles le noble exercice de l’arc sert de prétexte. Par cette belle journée de juillet, sous ces ombrages royaux, Gwendoline ressemble à Calypso parmi ses nymphes. Au moment où arrive Grandcourt, les spectateurs applaudissent avec frénésie ses prouesses au tir, qui lui valent une décoration particulière, l’étoile, que lady Brackenshaw lui attache à l’épaule. L’héritier des Mallinger la voit donc avec tous ses avantages, formant le point central d’un délicieux tableau, et elle sent qu’il doit être favorablement impressionné. En effet, il désire aussitôt être présenté à l’héroïne du jour. Grandcourt n’a rien de commun avec les portraits imaginaires qu’elle s’est tracés de lui : il est à peine plus grand