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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/851

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force, le papier tremble dans ses mains glacées, chaque mot qui en jaillit, effroyablement lisible, la frappe comme un coup de poignard : « Ces diamans qui furent mis un jour aux pieds de Lydia Glasher, elle vous les passe. Vous avez manqué à la parole que vous lui aviez donnée, afin de pouvoir posséder ce qui était à elle. Peut-être croyez-vous pouvoir être heureuse comme elle l’a été, avoir de beaux enfans comme les siens, qui prendront la place des autres. Dieu est trop juste pour permettre cela. Le cœur de l’homme qui vous épouse est à jamais flétri. L’amour de sa jeunesse a été tout entier pour moi. Vous ne pouvez me voler cela avec le reste. Cet amour est mort, mais je suis la tombe dans laquelle est enseveli votre bonheur de même que le mien propre. Vous étiez avertie. Vous avez choisi de nous faire du mal à moi et à mes enfans. Il avait voulu m’épouser, il m’eût épousée à la fin, si vous ne vous fussiez mise entre nous. Vous aurez votre châtiment. Je vous le souhaite de toute mon âme.

« Lui remettrez-vous cette lettre pour le tourner contre moi et consommer la ruine de mes enfans ? Vous tiendrez-vous devant votre mari avec ces diamans sur vos épaules et mes paroles dans sa pensée comme dans la vôtre ? Trouvera-t-il que vous ayez le droit de vous plaindre quand il vous rendra malheureuse ? Vous l’avez pris les yeux ouverts. Le tort volontaire que vous m’avez fait sera votre malédiction. »

Dans un spasme de terreur, Gwendoline jette au feu le fatal billet ; ce mouvement fait rouler l’écrin par terre ; elle n’y prend pas garde et retombe anéantie sur sa chaise, tandis que les grandes glaces environnantes reflètent de tous côtés son image pétrifiée. Vraiment ce sont là des bijoux empoisonnés et le poison est entré dans les veines de la jeune épouse. Quand, après un temps qu’elle ne peut mesurer, Grandcourt entre, habillé pour le dîner, sa vue la jette dans une attaque de nerfs. Lui, s’attendait à la voir parée, souriante, prête à le suivre. Il entend le cri de terreur d’une femme pâle, aux traits décomposés, presque évanouie au milieu des diamans épars sur le tapis. Est-ce un accès de démence ? — De toutes façons les Furies ont passé le seuil de sa maison, et l’avenir est perdu.

Tandis que commence à s’accomplir la malédiction de Lydia Glasher et que Gwendoline découvre, chez le mari dont elle attendait une complaisance absolue, la plus dangereuse de toutes les forces et de toutes la plus implacable, la force d’inertie, Daniel Deronda s’attache chaque jour davantage à la jeune Juive sa pupille. Il craint même de s’attacher trop à elle, car il est impossible d’approcher de Mirah sans subir le charme de cette suave beauté, de ce chant si parfait que l’art ne s’y laisse pas deviner, le chant du