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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/890

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chameaux, des chevaux et tout ce qui était nécessaire pour son voyage. Parti de Shamaki le 6 octobre 1562, il arriva, quand il eut parcouru 60 milles environ, au village de Djavat[1]. Le roi d’Hircanie possède en cet endroit une belle maison avec des vergers et des jardins remplis de fruits de toute espèce. Près de Djavat passe une grande rivière appelée Kour, qui prend sa source dans les montagnes de la Géorgie, traverse l’Hircanie et va se jeter dans la mer Caspienne, non loin d’Abcharon et de Bakou. A peine la caravane a-t-elle quitté Djavat, que le paysage change soudain d’aspect. La vallée que remontent lentement les chameaux est habitée par un peuple pasteur. Ce peuple, pendant la saison d’été, se tient sur les montagnes ; en hiver seulement il descend dans la plaine. Jamais il n’a songé à bâtir villes ni habitations. Les femmes, les enfans, les bagages sont chargés sur des bœufs ; toute la population se déplace avec ses richesses et avec ses bestiaux deux fois l’an. Il ne fallut pas moins de dix journées de marche pour sortir de cette longue vallée qui, malgré la fertilité dont elle eût pu faire preuve, restait abandonnée à une tribu sauvage. Le 16 octobre, Jenkinson atteint Ardébil. C’est dans la ville d’Ardébil que repose, après vingt et un ans de règne et de combats, le prédécesseur de Shah-Tamasp. Il y mourut en 1523. Ismaël ne fut pas seulement le fondateur de la dynastie des sophis, le destructeur de la dynastie du Mouton-Blanc. Son plus beau titre aux yeux de ses partisans est d’avoir été le roi des chiites. Tel est le nom que valut à Ismaël Ier l’inébranlable ferveur de sa foi religieuse. Le chiite convaincu a, par malheur, rencontré dans le sultan de Constantinople, dans Sélim Ier, un sonnite qui se croit également l’unique dépositaire des doctrines orthodoxes. Ce sonnite va faire une rude guerre au descendant du septième iman. On sait que les sonnites reconnaissent pour légitimes successeurs de Mahomet les trois premiers califes, Aboubekr, Omar et Osman ; les chiites ne voient au contraire dans ces trois califes que des usurpateurs. Ali était le gendre de Mahomet ; il avait épousé Fatime, sa fille chérie. C’était à lui, suivant les Persans, d’hériter de la puissance spirituelle et temporelle du prophète. Persécuté par la faction des Ommiades, assassiné à Koufa par un fanatique, Ali a emporté dans sa tombe la sainte et glorieuse auréole du martyre. En adoptant la doctrine des sonnites, les Turcs se sont faits les complices de ses meurtriers. Quelle réconciliation durable pourrait-il y avoir entre deux sectes séparées par de tels souvenirs ? La nation qui pleure encore le trépas d’Ali et celle qui n’y voit qu’un acte de justice ne sauraient jamais, quoi qu’on fasse, unir sincèrement leurs mains et leurs prières.

  1. On pourra retrouver Djavat sur nos cartes modernes, à 34 milles environ dans le sud de Shamaki.