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nom du sophi, Shali-Moursi demande à Jenkinson comment il se porte et l’invite à dîner. Jenkinson trouve la table du prince presque aussi bien garnie que celle d’Obdolokan. Ce traitement splendide le dédommage un peu des longues fatigues et des privations du voyage. Ainsi fêté, comment Anthony pourrait-il douter davantage du succès ? Dès le lendemain, il envoie son interprète déclarer sans plus de façon au secrétaire du sophi qu’il apporte des lettres de sa très gracieuse souveraine, « madame la reine du royaume d’Angleterre. » Il ne dit mot encore des lettres d’Ivan IV. « Les motifs de sa venue, a dû ajouter l’interprète, sont très clairement exposés dans ses lettres. Jenkinson désirerait, quand on le trouvera bon, être introduit devant sa majesté. » Le sophi fait répondre qu’il a en ce moment de fort grosses affaires. Que Jenkinson cependant se rassure, il ne tardera pas à être mandé au palais ; il peut toujours préparer ses présens, s’il en a, comme on le suppose, apporté.

Quand les communications étaient peu rapides, les souverains avaient le temps de changer plus d’une fois d’idée, avant que tel ambassadeur dont leur contenance politique pouvait avoir encouragé l’envoi eût franchi la distance qui séparait les deux capitales. Le jour où Jenkinson s’embarquait sur le Volga en compagnie d’un envoyé du roi d’Hircanie, il dut croire le sophi résolu à chercher contre l’ennemi séculaire de la Perse des alliances jusque dans les cours de la chrétienté. Telle paraît avoir été en effet un instant l’intention de Shah-Tamasp. Ce prince avait donné asile au fils rebelle du Grand-Turc. Le 7 juillet 1561, Baïezid, vaincu par le vizir Mohammed Sokolli, se réfugia en Perse avec ses quatre fils et avec les débris de son armée. Shah-Tamasp l’entoura des plus grands honneurs. Le fils d’Ismaël jetait ainsi le défi au sultan. Oserait-il bien lutter contre la fortune d’un monarque qui commanda treize fois en personne ses armées, mit le siège devant Vienne, ravit la Morée aux Vénitiens, Rhodes aux hospitaliers, Belgrade aux Hongrois, et ne rencontra de rival digne de lui que Charles-Quint ? La tâche était trop forte pour le fils d’Ismaël ; il en désespéra. « Quatre jours avant que j’arrivasse à Casbin, nous raconte Jenkinson, y étaitarrivé l’ambassadeur du Grand-Turc. Il était envoyé à la cour du sophi pour y conclure une paix perpétuelle. Cet ambassadeur apportait en présent de l’or, de beaux chevaux richement harnachés, d’autres cadeaux dont la valeur se montait à 40,000 livres sterling. La paix fut conclue, et on la célébra par de grandes fêtes, des cavalcades, des solennités de toute sorte, sans négliger de la sanctionner par les plus forts sermens, prononcés au nom du Koran. Les deux souverains devaient vivre désormais comme des frères et s’unir contre fous les princes qui entreraient en guerre avec eux ou avec l’un d’eux. Pour montrer la sincérité de ses