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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/928

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gouvernement de faire disparaître ou d’atténuer ces causes d’infériorité, et si l’on ne veut pas en tenir compte, mieux vaudrait faire cesser immédiatement toute illusion et toute espérance, et déclarer que la France ne croit avoir aucun intérêt à s’imposer le moindre sacrifice pour permettre à sa marine de lutter contre les marines étrangères. »

Telle est textuellement la pensée de l’école protectioniste. Les partisans de la doctrine contraire ne diffèrent pas essentiellement de langage ; voici ce que dit la chambre de commerce de Marseille, dans sa séance du 16 mai 1876 : « Les souffrances de la marine française, notamment de la marine à voiles, proviennent principalement : du grand développement de la navigation à vapeur dans le monde entier, du grand nombre de navires à vapeur de grande portée qui ont été construits partout dans ces derniers temps, et qui, pourvus de machines consommant peu de charbon, ont pu accepter des frets très bas, même souvent plus bas que ceux qui étaient demandés par les navires à voiles, de l’excessive concurrence qui s’en est suivie, et qui a naturellement provoqué un abaissement considérable dans les prix du fret, de l’existence de lignes subventionnées par les diverses puissances, enfin du percement de l’isthme de Suez, qui a permis aux bateaux à vapeur depuis 1869 d’aller dans l’Inde et d’y faire une concurrence sérieuse aux navires à voiles ; toutes causes générales, fatales, auxquelles il n’est au pouvoir de personne de remédier. »

De son côté, la chambre de commerce de Toulon et du Var, dans sa séance du 2 mai 1876, par l’organe d’un de ses membres, M. Cabissol, s’exprime ainsi : « Malgré sa vaste étendue de côtes, malgré l’intelligence de ses habitans, malgré l’habileté de ses marins, malgré les capitaux dont elle peut disposer et qu’elle jette à pleines mains à toutes les aventures, la France voit tous les jours sa marine marchande diminuer dans des proportions inouïes. Elle, qui devrait être la seconde, au moins la troisième des puissances maritimes, est tombée de chute en chute au dernier rang, c’est-à-dire au niveau de l’Espagne et des nations qui n’ont pas de navires au long cours. Et cette chute est si rapide que, si nos législateurs ne se préoccupent au plus tôt de la situation, notre marine marchande n’existera plus, et le mal sera sans remède. »

L’opinion des armateurs réunis en congrès maritime le 7 juin à Paris ou à d’autres époques dans leurs chambres de commerce, soit que cette opinion émané des partisans de la protection, soit qu’elle soit formulée par les partisans de la liberté commerciale, semble donc être celle-ci : en raison du bien-être dont jouissent nos compatriotes sous un ciel tempéré, par d’autres causes fatales, la marine marchande est condamnée à l’infériorité ; mais, comme une