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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/119

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même que l’ingénieuse cosmogonie de Laplace n’est pas entrée dans l’enseignement. En Angleterre, les géologues montrent un esprit moins scientifique. Les uns repoussent toutes les hypothèses, à tel point qu’ils affichent n’avoir point d’opinion sur les causes des phénomènes; d’autres, au contraire, s’adonnent à l’étude des causes premières avec une ardeur peu contenue, jusqu’à vouloir en déduire l’histoire complète de notre planète à travers des millions de siècles écoulés. La vieille querelle des neptunistes et des vulcanistes se renouvela sur un thème un peu différent. D’un côté les convulsionnistes, — dont Murchison et Sedgwick furent les plus éminens, — soutinrent que les dislocations produites par la chaleur centrale du globe suffisent à expliquer toutes les formes actuelles de la surface, qu’il n’est point besoin de faire intervenir des glaciers imaginaires. D’autre part, les uniformistes, dont sir Charles Lyell a été le chef, reprirent l’ancienne doctrine de Hutton, que tout s’est passé jadis comme cela se passe encore maintenant, qu’il n’y a pas plus apparence de commencement que de fin, que les montagnes les plus hautes ont bien pu s’élever par des mouvemens lents et graduels, tels que ceux dont le littoral norvégien porte chaque année la trace.

On a reproché aux convulsionnistes de recourir trop fréquemment à des causes de perturbation accidentelles. Leur doctrine avait de plus l’inconvénient de ne point s’accommoder des idées biologiques

modernes que Darwin avait mises à la mode; grâce à de brusques soulèvemens, l’histoire entière de la terre se renfermait à la rigueur en une période de quelques milliers d’années. Les uniformistes, de leur côté, péchaient par l’excès contraire. Quelle prodigieuse antiquité n’attribuaient-ils pas en effet à notre planète ! Les couches sédimentaires, disaient-ils, ont une épaisseur d’environ 30,000 mètres, autant qu’on en peut juger. C’est exagérer que d’évaluer à un dixième de millimètre ce qui s’en dépose chaque année au fond de l’Océan; par conséquent, il y a pour le moins 300 millions d’années que cette opération se continue, et comme les fossiles d’êtres vivans se retrouvent dans les plus anciens sédimens, il y a 300 millions d’années que la vie se développe sur la surface terrestre. Encore néglige-t-on dans ce calcul les intervalles de temps pendant lesquels les continens élevés au-dessus du niveau de la mer se creusaient par l’effet des eaux courantes au lieu de s’accroître en hauteur. Ce raisonnement paraissait-il insuffisant? On en avait un autre. Il y a de nombreux exemples de vallées profondes creusées par les eaux. Or on observe que le Pô, fleuve très chargé de limon, creuse son bassin d’un centimètre en vingt-cinq ans ou de 40 mètres en cent mille années. L’écorce terrestre se compose d’une vingtaine