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chaleureux et y prendre part. Ce n’est que beaucoup plus tard que Louis XIV put montrer ses sentimens à l’égard des Turcs. Il fallut pour cela que Mazarin disparût de la scène politique. On sait que les questions de préséance et d’étiquette avaient aux yeux du grand roi une importance capitale. Le même prince qui se brouillait avec Philippe IV, son beau-père, parce que l’ambassadeur d’Espagne avait osé disputer le pas à son ambassadeur à lui, M. d’Estrades, ne put pardonner à Kiupruli les avanies, — mot expressif en Turquie, — infligées à ses envoyés, Delahaye et Nointel : la question du sofa, pour l’appeler par son nom, faillit ruiner sans retour l’alliance traditionnelle de la France et de la Sublime-Porte. Louis XIV ne déclara pas officiellement la guerre à Mahomet IV, mais il la lui fit d’ne façon semi-officielle en Hongrie et en Crète. Un petit-fils de Henri IV périt au siège de Candie. « Nous rencontrons partout dans les rangs de nos ennemis, les Français qui se disent pourtant nos amis, » déclarait un jour le grand vizir à l’un de nos ambassadeurs. Bossuet élevait le duc de Bourgogne, l’héritier du trône, dans l’idée qu’il fallait faire aux Turcs une guerre implacable[1]. Il est avéré que Louis XIV lui-même aurait de son chef organisé une croisade, à condition d’en avoir l’honneur et le profit. C’est la juste défiance de l’empereur d’Allemagne, archiduc d’Autriche, qui l’empêcha de cueillir des lauriers plus abondans sur les bords du Danube en combattant le croissant. Dans un certain milieu, plus religieux, il est vrai, que politique, mais très influent et très distingué, il fut, pendant vingt ans, considéré comme le futur empereur de l’Orient. Lui-même, et Louvois, encouragèrent ces espérances que Colbert dut combattre avec obstination. Les textes sur lesquels nous nous appuyons en ce moment ne sont pas inédits ; mais comme mainte chose publiée depuis deux siècles, ils étaient passés inaperçus.

Qu’on nous permette d’introduire un personnage à peu près inconnu à notre siècle, mais digne d’étude, et qui, si les événemens eussent pris un autre cours, aurait pu être appelé à jouer un grand rôle[2].

Michel Febvre, en religion père Justinien, était né à Neuvy, à sept lieues au nord de Tours. Il entra jeune encore dans l’ordre des capucins, qui avaient, à côté des carmes et des jésuites, organisé de nombreuses missions dans le Levant. S’étant fixé à Alep, il y séjourna environ dix-huit ans. Il y apprit le turc, l’arménien, l’arabe et le kurde. Il était admirablement situé pour observer le jeu des

  1. Voyez sa lettre à Innocent XI sur l’éducation du Dauphin
  2. Bernard de Bologne (Bibliotheca scriptorum capuccinorum), dit de lui : In ar duis expedientis consilio satis est commendatus.