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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/150

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les Génois, les Hollandais, les Anglais, les Espagnols, prendront position sur le littoral asiatique comme sur le littoral européen. Les Portugais devront se réjouir d’avoir, par Alep, une communication permanente avec les Indes orientales, où ils dominent. Le duc de Savoie aura l’île de Chypre, les chevaliers de Malte l’île de Rhodes. Le pape régnera sur Jérusalem. Si la France doit posséder Constantinople en souvenir de l’empire latin, elle doit aussi revendiquer la Basse-Egypte à cause de la croisade de saint Louis. Elle ne s’embarrassera pas toutefois de la garde et de l’administration de la vallée du Nil. Elle y maintiendra à l’état de tributaires les seigneurs actuels « qui montrent beaucoup de candeur pour des infidèles. »

Chose remarquable : dans sa répartition, Coppin, fidèle aux vues d’Henri IV, oubliait « le grand tsar ou duc de Moscovie, » qui avait naguère adressé au pape une lettre pour le conjurer de hâter la croisade. « Il donnera un état de ses prétentions lorsqu’on lui proposera le projet. »

Le syndic de la terre-sainte recommandait de ne point s’attaquer tout d’abord à Constantinople. Le sieur du Vignau, écuyer, seigneur des Joanots, chevalier du très saint-sépulcre, secrétaire interprète sur les escadres du roi dans toute la Méditerranée, émit un avis opposé dans un livre intitulé l’État présent de la puissance ottomane[1]. Au chapitre IV de son œuvre, il montra la facilité qu’auraient à présent les princes chrétiens de reprendre Constantinople. Une fois les Dardanelles forcées, — et l’auteur développe longuement les moyens de s’en rendre maître, — la capitale de l’empire ne résisterait pas un seul jour. Il voudrait qu’on la détruisît de fond en comble. « De simples pots à feu que l’on jetterait avec la main suffiraient pour causer un embrasement et une désolation universelle. »

Coppin et Du Vignau commettaient un grave anachronisme lorsqu’ils entretenaient le public français de leurs projets de croisade. Au moment où ils prenaient la plume, c’en était fait de ce grand dessein qui avait tenu en haleine tant de générations. Après bien des événemens dont nous ne saurions faire aujourd’hui le récit, le grand-vizir de Mahomet IV, Kara-Mustapha, était venu mettre le siège devant Vienne. C’était en 1683, un an après l’apparition du Théâtre de la Turquie de Michel Febvre. Le chef de la maison d’Autriche, menacé de perdre ses états, refusa les secours que lui offrait Louis XIV, son ennemi. Se voyant dénier le rôle de protecteur de la chrétienté, celui-ci fit sans doute des vœux pour le succès de Kara-Mustapha. Un évêque fut disgracié pour avoir lancé un mandement

  1. A la Sorbonne, Bibliothèque de l’Université, avec la marque H. M. 0.9.