me sentir plus heureux que ceux de mes amis qui, pour me servir de leur mot, ont envahi mon héritage. »
— Le monde ne connaît pas ceux qu’il lapide! — s’écrie ailleurs M. Strousberg, et il a rédigé ses mémoires pour se faire mieux connaître. Au demeurant il pardonne à l’opinion publique ses péchés d’ignorance, et il est indulgent pour les juges et les magistrats qui plus d’une fois lui ont donné tort. Il se plaint seulement que la magistrature a beaucoup de préjugés, qu’elle a de la raideur dans l’esprit, qu’elle ne comprend pas les choses, qu’elle n’est pas de son temps, qu’elle voit des crimes et des délits où il n’y en a pas. Ce n’est pas une petite affaire pour un juge que d’avoir à juger un spéculateur. Il doit apprendre non-seulement une langue qui lui est nouvelle, mais une morale particulière, laquelle approuve et autorise des procédés et des expédiens un peu subtils, réputés illicites dans l’habitude de la vie. Les hommes d’argent ont leur code spécial, et les politiques aussi, car au temps où nous vivons, les combinaisons des politiques ressemblent beaucoup aux spéculations de bourse et à certaines opérations commerciales. On parle de créer des états nouveaux comme on parlerait de fonder une société par actions; on commandite des insurrections et on se promet de les confisquer à son profit; on signe des actes où le principal contractant ne paraît pas, on abuse des prête-noms, des hommes de paille. L’Orient est aujourd’hui la proie des courtiers marrons, et bien embarrassé serait un tribunal chargé de qualifier ce qui s’y passe. Un Allemand qui ne ménageait pas ses termes écrivait jadis : « Où il y a un grand butin à partager, la cupidité l’emporte toujours sur les principes. Cela arrivera lors de la chute de l’empire ottoman, dont la lente agonie est la chose la plus effrayante. Les vautours couronnés voltigent autour du mourant pour se disputer plus tard les lambeaux du cadavre. A qui appartiendra le plus précieux lopin? A la Russie, à l’Angleterre ou à l’Autriche ? La France n’aura pour sa part que le dégoût de ce spectacle. On appelle cela la question d’Orient. »
L’objet des plus vifs ressentimens du docteur Strousberg est le chef habile et considéré du parti national-libéral, M. Lasker, dont l’éloquente philippique a porté, dit-il, une atteinte irréparable à son crédit et à ses entreprises; il a pour lui la même antipathie que pour le scarabée disséqueur qui se permit d’exercer de terribles ravages dans ses magnifiques forêts de Zbirow. Le docteur ne goûte guère les libéraux prussiens; il les traite de doctrinaires chimériques, à l’étroit cerveau. Il leur reproche de vouloir établir en Prusse la responsabilité ministérielle, quand il importerait davantage d’y établir la responsabilité du garde de nuit et du conseiller intime. Il leur reproche aussi d’avoir un culte pour le parlementarisme, « cette idole de notre temps. » Ce chapitre de ses mémoires a dû plaire à M. de Bismarck s’il a eu le temps de le