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le monde semblait d’accord, au moins sur ces préliminaires, dans lesquels on voyait un gage de paix. Premier coup de théâtre : la Turquie, dont on ne mettait pas en doute le consentement, a cru pouvoir répondre aux propositions de l’Angleterre par d’autres propositions, opposer à l’armistice de six semaines un armistice de six mois, aux réformes spécifiées pour trois provinces des réformes constitutionnelles et administratives s’étendant à l’empire tout entier. A la rigueur, si ce n’était pas une acceptation pure et simple, ce n’était pas non plus un refus, et ni l’Angleterre, ni d’autres puissances n’ont vu une incompatibilité absolue entre ce qu’elles demandaient et ce qu’offrait le gouvernement ottoman. C’était tout simplement une négociation à suivre pour concilier des conditions d’une nature différente plutôt qu’opposée, et pouvant en réalité aller au même but ; mais non, encore une fois, tout a changé aussitôt, et maintenant, à défaut de l’Angleterre qui s’efface, c’est la Russie qui entre en scène, écartant les propositions turques, reprenant et s’appropriant les propositions anglaises pour en maintenir l’intégrité et l’autorité. L’initiative s’est déplacée.

Ce n’est plus l’ambassadeur britannique, sir Henry Elliot, qui reste chargé de se faire auprès d’Abd-ul-Hamid l’interprète des intentions de l’Europe. C’est l’ambassadeur du tsar, le général Ignatief, qui arrive tout droit de Livadia pour remettre d’abord ses lettres de créance au nouveau sultan, puis pour le ramener au sentiment modeste de sa position en le plaçant sous le poids de la volonté de la Russie. Que s’est-il passé réellement entre le général Ignatief et le sultan ? Peu importe, puisqu’on sait d’avance ce que le cabinet de Saint-Pétersbourg est décidé à demander, et que ce qu’il est décidé à demander ne laisse guère à la Turquie la possibilité de discuter. Ce qu’il y a de grave dans cette démarche, c’est qu’en paraissant se rattocher à un programme européen, elle le dépasse évidemment et elle remet au jour une dissonance de volontés qu’on semblait vouloir éviter ; c’est que, sans être, à ce qu’il paraît, un ultimatum, elle révèle de la part de la Russie le dessein arrêté de ne plus laisser les résultats qu’elle poursuit à la merci d’une négociation flottante ou toujours contrariée. Ce n’est point une rupture sans doute, les choses n’en sont pas là, c’est, si l’on veut, un avertissement ou une menace, une mise en demeure, et malheureusement aussi c’est la question ramenée dans une voie des plus périlleuses, où une première soumission du divan peut ne rien résoudre. Qu’il y ait un armistice de six semaines, comme le ; demande la Russie, à la place de l’armistice de six mois proposé par la Turquie, c’est une difficulté vaincue, et c’est beaucoup ; mais ce n’est pas tout, ce qui reste encore laisse une porte ouverte à bien des éventualités, de sorte qu’à chaque instant, au moindre conflit de prétentions, tout peut se trouver remis en doute, et que dans cette voie où l’on entre, l’Europe est livrée à une oscillation perpétuelle entre la paix et la guerre, au hasard des incidens par