Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/234

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Autriche se prêterait à la réalisation du programme. Les empereurs sont alliés et amis, soit : les politiques restent en présence avec les traditions et les intérêts qu’elles représentent ; elles se réservent visiblement pour le jour où elles auraient à intervenir, au risque de s’entrechoquer.

Voilà le danger, voilà ce qui détruit l’effet de toutes les protestations pacifiques ! Qu’on ne s’y trompe pas : une des causes de l’anxiété qui règne aujourd’hui, une des faiblesses de l’Europe, c’est cette situation où dans l’éclipsé du droit public et des traités on ne sait plus où l’on va, où les antagonismes d’ambitions et les défiances sont le plus clair de la politique, où tout reste livré au hasard et à la force. Le mal vient de là. La difficulté de cette question d’Orient qui est devenue un péril, qui tient encore l’opinion en suspens, c’est qu’au lieu de chercher à la résoudre régulièrement, en se servant des transactions qui sont un titre pour l’Europe, on se jette trop souvent à la poursuite de toute sorte de combinaisons extraordinaires, comme si nous vivions dans un temps où tout est permis. Eh bien ! c’est ce mal réel, contagieux, que les gouvernemens bien inspirés peuvent réparer encore en voyant les dangers qu’ils se créent à eux-mêmes par une politique d’aventure, en mettant leur sagesse à limiter les conflits ou à détourner de plus vastes conflagrations, en conformant enfia leur conduite aux protestations pacifiques qu’ils ne cessent de renouveler.

Est-ce donc si difficile pour des puissances sérieuses de résister à des entraînemens, d’éviter ce qui les divise, de chercher d’un commun accord les élémens d’une solution propre à rassurer le monde ? Il n’est point de question, si compliquée, si épineuse qu’elle soit, qui puisse être au-dessus de la bonne volonté, des lumières et de la résolution de grands gouvernemens. La première condition pour eux est de savoir ce qu’ils veulent, de préciser leur action. Quand ils auront bien examiné, bien pesé toutes les considérations, ils s’apercevront qu’ils peuvent encore plus obtenir par la paix, par la diplomatie, que par la guerre, — que le meilleur moyen de résoudre une question si dangereusement complexe est de la circonscrire, de s’armer des traités et des droits d’intervention régulière qu’ils assurent. Ils reconnaîtront tout ce qu’il y a de compromettant dans une politique de mirages, de tentations et d’arrière-pensées menaçantes. Que peut vouloir particulièrement la Russie, qui a pris le principal rôle depuis quelques jours, dont les résolutions peuvent retenir ou précipiter les événemens ? Elle ne se propose certainement pas d’aller à Constantinople, elle n’en est point à soupçonner quelles batailles elle aurait à livrer, quelles complications elle soulèverait dès qu’elle se mettrait en chemin. Elle ne veut pas donner le signal du démembrement de la Turquie ; le prince Gortchakof désavouait cette pensée, il n’y a pas si longtemps encore, lorsqu’il écrivait à l’ambassadeur du tsar à Londres : « Nous ne croyons pas à la durée indéfinie de