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l’état de choses anormal que présente l’empire ottoman ; mais rien n’est encore préparé pour le remplacer, et sa chute subite risquerait d’ébranler l’Orient et l’Europe… » Que la politique russe veuille bien ardemment favoriser cette idée de l’indépendance slave dans la presqu’île des Balkans, de cette confédération slave dont on parle toujours, c’est assez douteux. Elle tiendrait encore moins à favoriser le démembrement de la Turquie au profit de la Grèce.

Le cabinet de Saint-Pétersbourg recule justement, sensément, devant ces excès ou ces fantaisies de politique. S’il ne veut que la réparation des violences commises ou tolérées, un système d’améliorations, des garanties nouvelles et plus efficaces, pourquoi se séparerait-il des autres puissances, qui veulent la même chose ? Par quel entraînement passerait-il de ses dernières démarches, qui n’ont pas dépassé la sphère diplomatique, à une rupture déclarée avec la Porte ? Où serait pour lui l’avantage de se jeter dans une aventure dont les résultats possibles seraient nécessairement disproportionnés avec le sang qui coulerait et les ruines qui se multiplieraient ? Les Russes n’en sont point à sentir le danger d’une action isolée, et les plus ingénieux se font illusion à eux-mêmes en répétant qu’on ne fait qu’exécuter le programme européen proposé par l’Angleterre, accepté par tout le monde. Le programme européen, la Russie n’a pas reçu la mission de l’exécuter, surtout par des moyens extrêmes, et ce serait une étrange manière d’interpréter ce programme que de s’en faire un titre pour aller en avant, de risquer la guerre pour le délai d’un armistice, pour cette « autonomie administrative » qui serait probablement fort exposée à disparaître le jour où un conflit éclaterait. Pourquoi, dit-on, la Russie n’occuperait-elle pas quelque province turque, la Bulgarie, par exemple, au nom de l’Europe, pour assurer le rétablissement de la paix et l’efficacité des réformes qu’on demande ? Rien ne s’opposerait à ce que l’Autriche, de son côté, occupât au même titre la Bosnie, l’Herzégovine. Ce serait la reproduction de ce qui s’est passé il y a quinze ans, de cette expédition de Syrie dont la France finissait par être seule chargée. C’est encore une méprise. L’intervention en Syrie se réalisait par la décision d’une conférence européenne, avec le concours ou l’assentiment de la Porte elle-même. Elle était exécutée par un petit corps d’occupation qui ne dépassait pas 6, 000 hommes ; elle était définie et limitée ; elle marchait escortée d’une commission composée de délégués des puissances et d’un délégué ottoman. La Russie accepterait-elle d’intervenir dans ces conditions ? Y a-t-il eu quelque conférence européenne appelée à décider et à régler une intervention de ce genre ? Le gouvernement turc consentirait-il à laisser une force étrangère entrer dans ses provinces ?

Aujourd’hui une occupation serait fatalement la guerre, ce serait la question d’Orient tout entière livrée au sort des armes. Que la Russie, qui a tant d’intérêts engagés, cherche un moyen de dégager honorable-