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ment sa politique, de donner une certaine satisfaction à l’esprit national qui la presse, qu’elle veuille imprimer en quelque sorte le sceau d’une victoire personnelle aux combinaisons qui seront adoptées, qu’elle tienne en un mot à faire quelque chose pour des populations qui ont peut-être compté sur elle, c’est une préoccupation qui n’a rien d’extraordinaire. Si naturelle qu’elle soit cependant, cette préoccupation ne peut conduire la Russie à des résolutions extrêmes, que l’Allemagne n’appuierait sans doute que dans une certaine mesure et temporairement, auxquelles ni l’Angleterre ni l’Autriche ne s’associeraient, et qui deviendraient le signal de la grande crise. Elle a déjà traversé bien des phases, cette terrible question qui depuis un an a mis toutes les politiques en campagne, à Londres comme à Saint-Pétersbourg, à Berlin comme à Vienne ou à Paris ; elle touche aujourd’hui de toute façon au point décisif où, si l’on veut détourner la crise, la diplomatie européenne est obligée de tenter un suprême et énergique effort pour remettre un peu d’ordre dans ses délibérations, pour reprendre la direction de ces malheureuses affaires orientales, pour opposer sa prévoyante et pacifique intervention à l’imprévu qui peat naître des dernières défaites de la Serbie comme des dernières résolutions qui peuvent être prises à Constantinople ou à Livadia.

C’est pour le moment l’intérêt de l’Angleterre, de l’Autriche aussi bien que de l’Allemagne et de l’Italie. C’est aussi assurément l’intérêt de notre pays. La France, dans tous les cas, est et sera avec ceux qui veulent la paix. C’est le rôle de sa situation, de sa fortune présente, et il paraît que ce rôle si simple, si naturel, prête à toute sorte d’interprétations. Il y a des capitales de l’Europe où l’on ne peut arriver à comprendre ce désintéressement pacifique, ce tranquille recueillement de notre pays, et où sur la foi de quelques polémiques plus ou moins vives, traduisant des opinions ou des préférences individuelles, on se plaît à multiplier les « conjectures et les soupçons. Les uns, sans songer aux événemens qui se sont passés et croyant en être au temps où nous étions toujours prêts à nous jeter dans toutes les mêlées, nous font presqu’un crime de notre tiédeur et veulent absolument nous classer parmi les slavophiles ou les turcophiles. Les autres cherchent des mystères dans une réserve qui ne serait qu’apparente et se figurent des impatiences secrètes qui ne demandent qu’à éclater. L’autre jour, comme si on avait voulu nous tenter, on ne pailait de rien moins que de nous proposer d’aller tenir garnison en Herzégovine, — sans doute pour mettre tout le monde d’accord. Les versions se succèdent. La France est réputée tour à tour ingrate envers la Russie, infidèle à l’Angleterre, inditïérente, sceptique, pleine de projets de vengeance ou impuissante. Ceux qui parlent ainsi sont dupes de leur imagination, ils ne connaissent pas notre pays. Si la Russie, à certains momens, a eu le bon esprit de conserver à l’Europe une paix qui nous était particulière-