Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/259

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

A cet égard, on pourrait même dire qu’il n’existe là ni succession, ni hérédité, mais qu’il y a seulement dissolution ou liquidation d’une société en commandite, chaque associé ayant droit à une part égale de l’actif social.

L’hérédité suppose partout la propriété ; là où l’une n’est pas encore bien fixée, il est naturel que l’autre ne soit pas encore établie sur des règles précises. Ce qui regarde le partage des biens dans la famille, comme tout ce qui touche au partage des terres dans la commune, est laissé par la loi à la tradition, à la coutume. Le règlement général de l’acte d’émancipation dit textuellement : Les paysans sont autorisés, quant à l’ordre de succession dans les héritages, à suivre les usages locaux[1]. Par ce simple article de loi, la commune rurale est mise en dehors du droit civil, en dehors du droit écrit. La justice des paysans a de même pour règle des coutumes juridiques spéciales et non point le code de l’empire, le Svod zakonof. Une telle liberté est en harmonie avec la nature et les conditions d’autonomie du mir russe. Le droit privé des paysans est cependant trop souvent obscur et indécis pour que, dans une époque de transition et de changement de mœurs comme l’époque actuelle, une telle latitude ne puisse prêter à des abus, à des erreurs, à des injustices. Aussi, dans l’enquête agricole, des personnages éclairés comme le ministre des domaines, M. Valouief, et le prince Vasiltchikof ont-ils demandé qu’au lieu d’être entièrement abandonné à la coutume, le droit privé des paysans fût réglé législativement. La difficulté est de ne pas violenter les usages en voulant en régulariser l’exercice. Les coutumes locales juridiques varient beaucoup suivant les régions ; en plusieurs contrées, dans les gouvernemens de Kazan, de Penza, de Samara par exemple, elles semblent tenir à l’origine de la population ou au mélange de races. Aussi ont-elles été récemment l’objet des recherches de la section ethnographique de la Société géographique de Russie. Dans une région par exemple, c’est le fils aîné qui, en cas de partage, conserve la maison paternelle; dans une autre, c’est, comme en quelques parties de la Suisse, le plus jeune, car l’on suppose que l’aîné a pu s’établir ailleurs du vivant du père. Lorsqu’on parle du droit de succession des paysans, il ne faut pas perdre de vue que ce qui fait d’ordinaire la principale ressource de la famille, les terres communales, tout en ne tombant pas directement sous le coup de l’hérédité, sont indirectement affectées par ces divisions de ménages.

Les partages ont aujourd’hui cessé d’être rares. Les jeunes gens, les jeunes femmes surtout, souhaitent l’indépendance, et les nouveaux ménages aiment à se voir chefs de maison pour être complétement

  1. Première partie du Règlement général, ch. II, art. 38.