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et le plus souvent on les tire ensuite au sort. L’on ne peut d’ordinaire arriver à cette double égalité en donnant à chacun un champ d’un seul tenant. Chaque paysan reçoit une parcelle d’autant de sortes de terrain qu’il y a de qualités de terre dans la commune. Les arpenteurs commencent donc par délimiter les terres des différentes catégories, et dans chacune de ces divisions on taille autant de parcelles qu’il y a de copartageans. Quand les terres seraient toutes de même qualité, ce qui, avec l’homogénéité du sol russe, est heureusement moins rare qu’en Occident, l’inégale distance du village leur donne encore pour le paysan une inégale valeur. L’une des conséquences de la communauté des terres est en effet l’agglomération des demeures. Des maisons isolées, des fermes dispersées supposent l’appropriation permanente du sol. Pour être à portée du lot qui lui peut échoir, chaque membre de la communauté doit être établi près de ses frères, au centre de la propriété commune.

Dans la Grande-Russie, les maisons des paysans sont ainsi réunies en gros villages, renfermant souvent plusieurs milliers d’habitans. Les maisons de bois sont alignées sur deux longues files, qui, pour donner moins de prise aux incendies, laissent entre elles une rue démesurément large et autant que possible disposée le long d’un cours d’eau. Les izbas, toutes voisines, sans jamais se toucher, s’appuient d’ordinaire à la rue, non par leur façade, mais par un de leurs côtés, souvent orné d’un balcon ou de dentelures de bois. Autour de l’izba est une cour avec des écuries et des granges, et derrière, l’enclos non soumis aux partages périodiques. Ce mode d’habitation par villages, en harmonie avec le mode de propriété, a aussi d’autres causes dans le climat et la nature du sol russe. Au sud et à l’est, là où les terres sont le plus fertiles, c’est la rareté de l’eau et des sources; partout c’est la difficulté des communications aux époques de dégel, au printemps ou à l’automne, sans compter la crainte des vols ou des meurtres. Ces gros villages russes sont aujourd’hui un des principaux obstacles à l’établissement de la propriété individuelle qui, avec ce système de maisons agglomérées, ne saurait avoir tous ses avantages. La culture est en effet dans une dépendance presque aussi étroite du mode d’habitation que du mode de propriété. Dans un pays où la population est peu dense et où les distances sont grandes, la propriété individuelle ne peut avoir tous ses effets utiles que si le cultivateur, avec son matériel et ses bestiaux, réside au milieu de ses champs. Or dans la Grande-Russie les fermes, les habitations isolées, appelées du nom de khoutory, sont presque entièrement inconnues; elles sont encore rares, même chez le paysan ayant acheté des terres en propre.

Une bonne part des inconvéniens reprochés en Russie au régime des terres communes, tient en réalité au régime des agglomérations