Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/272

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rurales. Or, pour substituer à ces gros villages, à ce que les Allemands appellent le dorfsystem, des fermes isolées, il ne suffirait point d’abolir la tenure collective de la terre. La substitution d’un mode d’habitation à un autre est partout chose difficile, longue, dispendieuse; elle le serait peut-être encore plus en Russie qu’ailleurs. On a parfois proposé de profiter des fréquens incendies de villages pour disperser les habitations. L’on aurait à cela un autre avantage : l’éloignement des maisons réduirait les pertes régulièrement infligées à la Russie par les centaines de villages qui chaque année sont la proie des flammes. Par malheur, les mœurs, la nature du sol et du climat, le caractère éminemment sociable du Russe ne sont pas les seuls obstacles à de tels plans. Les conditions de l’acte d’émancipation en ont mis un de plus, c’est l’attribution à chaque izba de l’enclos qui la touche, et dont elle garde la jouissance permanente. Grâce à cet enclos qui échappe au partage, la plupart des familles resteront fixées à leur emplacement actuel et longtemps attachées au village, quand même l’on partagerait définitivement entre elles les terres aujourd’hui communes. Alors même il faudrait probablement des siècles pour transformer le mode d’habitation, et en attendant la Russie demeurerait soumise à tous les désavantages qu’entraîne pour la culture l’éloignement du cultivateur. Ces inconvéniens sont d’autant plus sensibles aujourd’hui que les villages sont plus grands et leur territoire plus vaste, ce qui augmente d’autant la perte de temps, le prix des transports et la difficulté de restituer en engrais à la terre ce qu’on lui enlève en produits. Ce sont là du reste des défauts auxquels en Russie la propriété individuelle est loin de toujours échapper. Les anciens domaines seigneuriaux, restés souvent démesurément vastes, sont d’ordinaire encore moins à la portée des bras qui les doivent mettre en valeur.

Dans le système de partage généralement en usage, le territoire de la commune est le plus souvent divisé en trois zones concentriques, ou trois champs, conformément aux pratiques de l’assolement triennal. Du centre formé par le village partent autant de rayons qu’il y a de copartageans, et les secteurs ainsi obtenus donnent les lots à répartir entre les habitans. Grâce à cette méthode, les parcelles à distribuer affectent fréquemment la forme d’un coin et en reçoivent parfois le nom (kline). Le tirage se fait communément de telle sorte que chacun ait une part de chacun des trois champs, et de chaque catégorie de terres, sans qu’on ait soin de joindre ensemble les parcelles attribuées au même ménage. Chaque lot se compose ainsi le plus souvent de morceaux de terre séparés les uns des autres et enclavés dans ceux d’autrui. La part d’une âme ou d’un tiaglo peut être faite de parcelles dispersées en cinq ou six,