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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/274

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enfantines d’une égalité toujours visible et indéniable. Au lieu d’attribuer à chaque famille un morceau de chaque classe de terre, il faudrait composer des lots arrondis plus grands ou plus petits, selon la qualité du fonds ou l’éloignement du village. De pareils lots, équivalens en valeur, pourraient comme aujourd’hui être tirés au sort. Une telle réforme ne mettrait cependant pas toujours un terme à l’extrême morcellement du sol. Dans les communes les plus pauvres enterre, les lots resteraient d’une exiguïté, que de génération en génération viendrait encore aggraver l’accroissement de la population[1]. Pour prévenir ce danger, on a proposé d’établir un minimum légal au-dessous duquel ne saurait descendre aucun lot de paysan. De pareilles mesures n’auraient pas seulement contre elles le principe théorique de la communauté, dont chaque membre du mir tient un droit égal à la terre, elles se heurteraient à de grandes difficultés pratiques et triompheraient malaisément de la diversité des conditions locales. Il ne faut point du reste oublier qu’un excessif fractionnement du sol n’est point un mal propre au régime collectif. Les partages de famille peuvent, sous le régime de la propriété individuelle, amener à des résultats analogues. Nous en pouvons voir quelque chose en Occident, dans certains districts de la France. En Russie même, cet inconvénient ne se rencontre pas uniquement dans les provinces où se sont conservées les communautés de village, il se retrouve en Lithuanie où règne la propriété personnelle. Dès qu’on veut que le paysan soit propriétaire, il est difficile de déterminer a priori si le morcellement du sol sera beaucoup moins grand avec la propriété individuelle et ses partages de succession qu’avec la propriété collective et ses partages périodiques. À ce point de vue, le régime de la collectivité a même un avantage, c’est qu’en cas de besoin il permettrait de recourir à l’exploitation par grandes fermes ou à l’exploitation commune, ce qui, avec les progrès de l’instruction et des mœurs, pourrait être aussi favorable à la fécondité du sol qu’aux intérêts des copropriétaires.

Le système de rigoureuse et matérielle égalité qui prévaut aujourd’hui dans les partages est loin d’empêcher toute inégalité dans la vie des paysans, ou même toute injustice dans le mode de distribution du fonds commun. Les écrivains russes, entre autres Herzen, Tegoborski, Gerebetzof, ont souvent loué la bonne foi et le bon sens des paysans dans leurs rapports entre eux et dans toutes leurs délicates

  1. A Java, où domine également la propriété collective, des causes semblables ont produit des effets analogues. Le rapide accroissement de la population a réduit le lot de chaque travailleur à des parcelles encore bien autrement petites qu’en Russie. Là aussi on a demandé de mettre une limite au fractionnement du sol, ou mieux de substituer au mode de tenure actuellement en usage la propriété individuelle et héréditaire. Voyez l’ouvrage de M. de Laveleye sur la Propriété.