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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/278

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V.

La propriété collective a été condamnée par la commission d’enquête agricole. Est-ce là une décision sans appel, ou une sentence unanimement ratifiée? Aujourd’hui comme au temps du servage, la commune russe a d’ordinaire deux sortes de partisans et deux sortes d’adversaires. Elle a pour elle les slavophiles, défenseurs des traditions nationales, et les démocrates radicaux, disciples plus ou moins avoués de l’étranger. Ceux-là y voient une institution slave et patriarcale destinée à préserver la Russie des convulsions révolutionnaires de l’Occident ; ceux-ci y voient un débris de la communauté primitive du sol, et un précieux germe des associations populaires de l’avenir. Entre ces deux écoles d’esprit et de point de départ si différens, entre le slavophilisme orthodoxe et le radicalisme cosmopolite, ce goût pour la commune agraire établit même une sorte de trait d’union. Par malheur, ces deux alliés compromettent chacun par un côté la cause qu’ils défendent, l’un la rendant suspecte aux conservateurs autoritaires ou aristocrates, l’autre aux libéraux épris des institutions occidentales. Dans le camp nombreux des ennemis de la commune se distinguent aussi deux groupes également peu habitués à combattre sous le même étendard. Au secours des politiques qui redoutent la commune russe pour la société ou le gouvernement, viennent les hommes pratiques, préoccupés surtout de la production et de la richesse matérielle. Les communautés de village ont contre elles la plupart des économistes, d’ordinaire ennemis de tout obstacle à l’activité individuelle et à la libre concurrence. C’est de ce côté surtout, du côté de la production, que la question a besoin d’être étudiée, car au point de vue politique, au point de vue social même, adversaires et partisans de la commune semblent en avoir exagéré les qualités et les inconvéniens.

Dans la lutte engagée autour d’elle, la commune russe semble plutôt en train de perdre du terrain que d’en gagner. La popularité du mir a eu son apogée vers 1848 et à la fin du règne de l’empereur Nicolas ; elle a visiblement décliné sous le règne d’Alexandre II. Le préjugé public, qui jadis était pour lui, tourne aujourd’hui à son préjudice. C’est là une conversion toute naturelle. Avant l’émancipation des serfs, tous les vices sociaux, toutes les plaies économiques de la Russie étaient rejetés sur le servage : aujourd’hui tout retombe sur la propriété collective. Les peuples, comme les individus, résistent difficilement à la tentation d’avoir un bouc émissaire qu’ils puissent rendre responsable de leurs défauts, de leurs faiblesses ou de leurs déceptions. Or, pour beaucoup de Russes d’éducation et de tendances différentes, c’est là en ce