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mir et acheté à deniers comptans le droit de sortir de la commune agraire. Le fisc saisit les bestiaux et parfois jusqu’aux instrumens de travail des débiteurs arriérés du trésor, au grand détriment de la culture, ainsi obligée de se passer de fumier et d’engrais. De là un mal plus grand encore, la dépendance où les membres de la commune sont vis-à-vis de l’autorité communale, des entraves à la première et à la plus simple des libertés, la liberté d’aller et de venir. De là obstacle au développement intellectuel et moral en même temps qu’au progrès matériel, affaiblissement de la conscience et de la responsabilité individuelle, destruction de l’originalité, de l’esprit d’invention et d’initiative.

La solidarité des taxes peut, il est vrai, être regardée comme la conséquence naturelle et légitime de la communauté du sol. La propriété foncière étant indivise, l’impôt foncier semble devoir être également indivis et collectif; c’est à la commune d’en répondre pour tous ses membres. Ceci peut être vrai sans justifier le système aujourd’hui en usage. Si elle ne s’appliquait qu’à un impôt foncier normal, prélevant seulement une portion du revenu de la terre, la solidarité aurait peu d’inconvéniens pour l’agriculture et la liberté, elle serait d’ordinaire purement formelle et nominale. Chaque lot de terre, en effet, rapportant plus que l’impôt dont il est chargé, il serait toujours aisé à la commune de remplacer un contribuable en retard par un autre qui prendrait à la fois son lot de terre et sa dette vis-à-vis de l’état. Or aujourd’hui il est loin d’en être ainsi partout. Dans nombre de communes, il s’en faut que le revenu de la terre soit toujours supérieur aux taxes de la terre. Cela tient à deux choses : au poids excessif des impôts qui frappent le paysan, au poids plus lourd encore de la taxe de rachat, qui pendant près d’un demi-siècle doit peser sur lui. L’acte d’émancipation a placé la commune russe dans une situation transitoire souvent précaire. Le sol dont on lui attribue d’ordinaire la propriété indivise, le serf ne l’a pas encore racheté, il est obligé de le payer par annuités, dont tous les membres de la commune sont solidaires, aussi bien que de l’impôt. C’est ainsi par erreur ou par anticipation que l’on appelle le moujik ou sa commune « propriétaire. » La tenure commune du sol existe bien en Russie; la propriété commune, c’est-à-dire la jouissance gratuite du sol, n’y existe réellement pas : elle n’y est encore qu’un fait exceptionnel ou une espérance que le paysan doit acheter par des années de labeurs et de privations. Quand on envisage les communautés de village en Russie il ne faut point perdre de vue qu’elles ne seront, dans un état régulier, normal, qu’après le paiement complet de l’indemnité de rachat. Tout aujourd’hui y est provisoire, et par suite elles ne peuvent donner lieu à un jugement définitif.