Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/283

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’émancipation même a ainsi temporairement empiré et compromis l’antique régime communal russe, d’abord et d’une façon générale en resserrant le lien de la solidarité des paysans; ensuite, et selon les localités, tantôt en exigeant des moujiks un taux de rachat hors de proportion avec le rendement de la terre, tantôt en leur concédant des allocations insuffisantes. Ces deux cas sont malheureusement fréquens, et ils déforment, dénaturent presque également la communauté foncière. Dans telle région, dans le pays de Smolensk, par exemple, le prix de rachat a été estimé 50 pour 100 au-dessus de la valeur vénale, et le rendement de la terre suffit à peine à en couvrir les charges annuelles. Parfois, dans le gouvernement de Novgorod entre autres, les lots de terre sont offerts pour rien à qui se chargera de l’impôt, et il ne se rencontre pas toujours d’amateurs. En de telles circonstances, la propriété individuelle ou collective ne peut être qu’une charge onéreuse, une sorte de travaux forcés temporaires au profit de l’ancien seigneur ou de l’état, et de fait un grand nombre de paysans n’ont racheté que sous la contrainte de la loi. Dans d’autres régions, et parfois dans les mêmes, les paysans n’ont eu que des allocations exiguës, deux, trois ou quatre fois moins de terre qu’ils n’en avaient en jouissance au temps du servage. Les lots attribués à chaque famille sont incapables de suffire à son entretien, et par suite, les communautés de village hors d’état de donner les fruits qu’elles semblent promettre. Dans ces districts, la modicité des allocations expose dès aujourd’hui la commune agraire au péril dont la menace ailleurs l’accroissement de la population. Le paysan, incapable de vivre sur la terre qui lui a été abandonnée, est souvent obligé de demander son pain à un métier industriel ou à la location de ses bras. L’insuffisance du fonds communal est parfois si notoire que l’assemblée provinciale de Tver, par exemple, a décidé de faire des avances aux communes de la province pour leur permettre d’arrondir le lot de leurs membres, et que cette conduite a pu dans la presse être donnée en modèle aux autres assemblées provinciales.

Les communautés de village, telles que les a laissées l’émancipation, traversent ainsi une sorte de crise; elles y doivent périr ou en sortir adaptées aux mœurs modernes. Le mir est embarrassé de liens qui paralysent sa libre activité et en dénaturent le fonctionnement. On ne saurait juger de ce que peut être la commune russe par ce qu’elle est aujourd’hui. Pour s’en former une opinion équitable, il faudrait d’abord la délivrer de ses entraves fiscales, l’alléger du lourd et immoral fardeau de la solidarité, et cela ne sera facile, cela même n’est peut-être possible que lorsque sera clos le compte du rachat, lorsque la commune sera réellement devenue propriétaire. Alors seulement la communauté agraire étant dépouillée de