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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/318

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larmes de la dernière pluie s’égouttaient doucement dans la feuillée des sureaux. Les fosses, couvertes de folles avoines et d’armoises, laissent à peine deviner leurs croix de bois noir; dans un angle, à l’écart, s’élèvent les pierres funéraires de quatre ou cinq gentilshommes verriers. Même après la mort, les hâzis ont voulu tenir les sacrés-mâtins à distance, et une balustrade de fer protège leurs tombes ornées de longues épitaphes...


16 septembre. — Ce matin, la pluie fouette les carreaux avec une persistance désespérante. Les contours de la forêt ont disparu dans la vapeur, et nous fumons silencieusement devant le feu de l’auberge. Dans la salle voisine, des verriers qui font le samedi, se chamaillent autour du billard. Le bruit sec des billes d’ivoire nous arrive, mêlé au bourdonnement des mouches contre la vitre et au clic-clac des sabots de notre hôte en train de préparer le déjeuner. De temps en temps, les portes s’ouvrent, une rafale humide nous vient de la rue, la cheminée fume et nous entendons le tintement grêle des sonnailles d’un convoi de mulets trottant sur la route détrempée. C’est navrant.

— A propos, dit Everard, savez-vous qu’il y a eu ici une faïencerie célèbre?.. Toutes ces fameuses faïences révolutionnaires sortent de la fabrique des Islettes.

— Bah! répond le Primitif en bâillant, depuis qu’on s’est engoué de la faïence et qu’il n’est si petit bourgeois qui ne pende à son mur deux ou trois plats ébréchés, toutes ces poteries me laissent indifférent. Tes assiettes révolutionnaires ont surtout le don de m’agacer avec leurs canons lilas, leurs coqs et leurs vilains bonshommes couleur chocolat qui crient : Vive la nation !

Notre hôte s’est senti froissé dans son orgueil local. — Les Islettes ne fabriquaient pas que ces assiettes-là, a-t-il répliqué; si ces messieurs veulent pousser jusqu’à la maison du charron, ils verront dans sa cuisine tout un dressoir garni de belles pièces, comme on n’en fait plus nulle part. Des savans sont venus de Verdun et de Paris pour les regarder, et ils ont offert des mille francs au charron s’il voulait les vendre, mais le vieux y tient comme à ses yeux et ne veut s’en défaire ni pour prix ni pour somme.

— Au fait, la pluie menace de durer; si nous allions voir les assiettes ?

On nous a conduits après déjeuner chez le charron. Dans une cuisine proprette, devant un clair feu de ramilles, un bon vieux et une bonne vieille étaient assis de chaque côté de la cheminée. La femme avait le casaquin et le bonnet ruche des paysannes meusiennes, le mari portait un gilet de laine brune, et son bonnet de coton