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éclatent. Ils sont comme ces malades qui auraient besoin d’un remède énergique et qui sont hors d’état de le supporter. Le remède énergique serait le retour à la circulation métallique, et comment l’employer lorsqu’il n’y a plus de numéraire dans le pays et qu’il faudrait, pour s’en procurer, faire des sacrifices considérables qui entraîneraient une ruine générale? On est bien obligé de reculer; alors la liquidation ne se fait pas, les mauvaises affaires subsistent, et la situation reste embarrassée. Pour apprécier la différence qu’il y a entre cet état et celui qui existe lorsqu’on n’a pas le papier-monnaie, on n’a qu’à se rappeler ce qui s’est passé il y a quelques années. En Angleterre, en France et presque partout en Europe, il y eut en 1857 une crise très sérieuse. Alors le papier-monnaie n’existait nulle part, excepté en Russie. Le mal a été profond, il a causé beaucoup de pertes; dès la fin de l’année 1858, tout était presque réparé, et le crédit de l’Europe était redevenu à peu près ce qu’il était auparavant. On se souvient aussi du fameux Black friday de 1866 en Angleterre, où il y eut un run sur toutes les banques comme on n’en avait jamais vu. Il sembla un moment que personne n’était plus solvable dans le royaume-uni; l’escompte fut porté à 10 pour 100. Six mois après, les traces de ce sinistre avaient disparu, et l’Angleterre avait retrouvé son ancien crédit. Enfin l’exemple le plus frappant est celui qu’on peut emprunter aux États-Unis eux-mêmes. La crise de 1857 était née chez eux, et c’est de là qu’elle se répandit par un contre-coup inévitable sur toute l’Europe; mais alors ils n’avaient point de papier-monnaie, leur circulation était en espèces métalliques. Au bout d’un an, tous les embarras étaient liquidés, et les affaires avaient repris avec leur activité ordinaire. Il n’en est pas de même cette fois; les conséquences de la crise de 1873 durent toujours. Pourquoi? Parce que le papier-monnaie a empêché qu’on allât jusqu’à la racine du mal et qu’on supprimât toutes les affaires mauvaises qu’il aurait fallu supprimer.

N’est-il pas singulier, en outre, que les deux seuls grands pays qui aient échappé à la crise de 1873 soient précisément ceux qui n’ont pas de papier-monnaie, comme l’Angleterre, ou qui ne l’ont que pour la forme, comme la France? En effet, bien qu’il y ait le cours forcé dans notre pays et une circulation fiduciaire très considérable, cependant le papier-monnaie n’existe pas à proprement parler. Les billets sont acceptés au pair avec empressement, et ils ont la valeur exacte de la monnaie métallique ; la Banque de France pourrait les rembourser demain, si elle n’était arrêtée par d’autres considérations que celles de son encaisse. Il est donc bien établi que l’existence du papier-monnaie rend non-seulement les crises plus violentes, mais encore qu’il les fait durer davantage, parce