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l’organisme, ne nous conduit pas à des catastrophes. Aussi l’Académie des sciences morales et politiques s’est-elle émue; dès 1867, elle mettait au concours la question de la folie considérée au point de vue philosophique, et, en 1872, elle décernait la première récompense à un Mémoire, devenu aujourd’hui un volumineux ouvrage, dont l’auteur, M. P. Despine, avait déjà prouvé, par de remarquables travaux sur la psychologie morbide, une rare compétence en ces matières. Le livre de M. Despine, malgré quelques doctrines hasardeuses, nous paraît avoir une importance considérable, et nous nous proposons de signaler ici les aperçus, quelques-uns assez nouveaux, qu’il ouvre sur les obscurs problèmes de la psychologie des aliénés.


I.

Qu’est-ce que la folie? Est-elle une maladie des organes ou une maladie de l’âme? Et si l’âme peut être malade, par quelles causes le devient-elle? Ces causes elles-mêmes sont-elles purement organiques ou exclusivement morales? Quelles perversions font-elles subir aux facultés intellectuelles, aux affections, au libre arbitre? Enfin comment peut-on en prévenir les effets, ou les combattre quand ils se sont manifestés? Graves questions, que l’humanité se pose depuis longtemps, et auxquelles la science peut à peine aujourd’hui répondre avec certitude. Avec leur merveilleux instinct philosophique, les Grecs se firent de la folie une idée relativement exacte. Ils n’y virent qu’une maladie dont la guérison exigeait des remèdes à la fois pour le corps et pour l’esprit. Hippocrate réfute l’opinion populaire selon laquelle la folie venait directement de la divinité; il en détermine avec sagacité les symptômes, et le traitement qu’il prescrit est purement médical. Affranchis de toutes superstitions, les grands médecins grecs n’usèrent pas envers les aliénés de ces rigueurs absurdes qui, jusqu’au commencement de ce siècle, firent des asiles des lieux de torture et de désespoir. Asclépiade recommande expressément d’éviter la contrainte corporelle; il permet seulement d’attacher les fous les plus dangereux. Le moyen âge fut en général moins éclairé et moins humain. Un faux ascétisme accrédita l’opinion que le corps est un objet vil et dégradé, qu’il faut le combattre, le mortifier à outrance, parce qu’il est le siège des désirs pervers, le temple de Satan ! Ces croyances n’étaient que l’exagération des plus nobles doctrines morales; l’ignorance et la superstition s’en emparèrent, et s’en firent trop souvent des armes cruelles contre les aliénés. Si, même en pleine santé et en pleine raison, l’homme risque toujours de porter le démon dans son