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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/356

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corps, qu’est-ce donc quand il est fou ! Alors vraiment c’est Satan qui règne en maître dans cette impure prison de chair; il en a chassé l’âme immortelle et divine, il y déchaîne tous ses blasphèmes et toutes ses fureurs ! Le fou devient un possédé; comme tel, il est presque un maudit, car apparemment c’est en punition de ses péchés qu’il est ainsi livré au diable. Par là, s’explique la barbarie des traitemens infligés si longtemps aux tristes victimes de la folie. Bien des bûchers se sont allumés pour des malheureux qui n’étaient justiciables que de la médecine; mais la médecine croyait peu à elle-même, les praticiens les plus instruits, au témoignage de M. Maudsley, n’avaient alors d’autre but que de diminuer un peu la puissance du démon. Ils reconnaissaient l’existence « d’une préparation et disposition du corps par le moyen du trouble des humeurs, donnant de grands avantages au démon pour s’en rendre maître; lequel trouble étant traité par drogues et potions médicales, le diable est mis dehors et n’a plus de pouvoir sur le corps. »

Par un effet inverse d’une superstition analogue, les fous furent généralement regardés en Orient comme personnes sacrées et traités avec un grand respect. On voyait en eux des possédés, mais des possédés de l’esprit divin. On leur attribuait le caractère surnaturel que Platon, dans le Phèdre, reconnaît à une certaine espèce de délire, et qui donne à l’homme la puissance d’enfanter des pensées et des œuvres dont la saine raison est incapable. La croyance aux oracles, aux prophéties, dut peut-être son origine à des manifestations de la folie que l’on prit pour des inspirations directes de la divinité.

Il faut arriver au XVIIIe siècle pour trouver les premiers essais de théories scientifiques sur la folie. Stahl, le père de l’animisme moderne, la fait dériver des passions qui s’emparent de l’attention, de la réflexion : la folie est pour lui une erreur, mais cette erreur n’est pas l’œuvre propre des facultés intellectuelles ; elle est produite par une perversion des facultés affectives. Cette doctrine est aussi, avec quelques variantes, soutenue par quelques-uns des aliénistes les plus célèbres du dernier siècle et du nôtre, Ideler, Griesinger, M. Baillarger, et par le philosophe Herbart. Seulement Stahl, fidèle en cela au principe fondamental de l’animisme, niait absolument que la folie eût sa cause dans un état pathologique de l’organisme, ce qu’il n’est plus guère possible de contester aujourd’hui.

Une des théories les plus importantes par la gravité des conséquences morales qu’elle entraîne est celle du médecin allemand Heinroth. Selon lui, la folie n’est autre chose qu’un péché. L’homme ne devient jamais fou que par sa faute, et celui qui pendant toute