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de faim. Le malade dont l’énergie vitale a diminué s’imagine qu’il est mort; il reste inactif, immobile et ne prononce plus une parole. L’idée délirante une fois produite sous l’empire de la passion, l’intelligence se met tout entière à son service. Sur tout autre chose, le fou paraît raisonnable, et même l’idée délirante étant supposée vraie, il semble que les facultés et opérations intellectuelles proprement dites, perception, mémoire, jugement, raisonnement, association des idées, fonctionnent aussi régulièrement qu’à l’état de santé.

Ce principe de l’intégralité des facultés intellectuelles dans la folie en général, et dans cette première forme en particulier, est énergiquement soutenu par M. Despine. Il pense, comme Locke, que le fou raisonne correctement sur des prémisses fausses. Tel, par exemple, se dépouille brusquement en public de tous ses vêtemens : voilà un acte en apparence absurde et inexplicable; pour le fou, il est parfaitement logique. Le malheureux est le père Adam; il doit en porter le costume. Tel autre, traversant une rue de Londres dans son cabriolet, frappe subitement d’un coup de hache à la tête un cheval qui croisait le sien : rien en apparence ne justifie cette ridicule agression; mais ce fou se croit Jésus-Christ, en tuant un cheval sur la voie publique il assemble la foule autour de lui, on s’occupe de sa personne, il pourra dès lors convaincre chacun de sa mission divine. Il y a là un enchaînement d’idées bizarre, mais au fond assez logique : les facultés de raisonnement, d’association, sont donc intactes.

De même la faculté de perception. C’est une loi que, sous la domination de la passion qui possède l’esprit, les facultés intellectuelles suivent dans leur développement la direction que cette passion leur imprime. Les organes des sens peuvent fonctionner chez le fou comme chez l’homme en santé, les objets extérieurs faire sur les nerfs et sur le cerveau leur impression normale, la perception, en un mot, ne recevoir aucune atteinte; mais la passion plus forte dément son témoignage, et l’esprit se range de soi-même à l’avis de la passion. Un fou est convaincu que sa jambe est de verre; par crainte de la briser, il refuse de faire le moindre mouvement; à qui voudra le détromper de son erreur, il répondra : Je vois bien que ma jambe n’est pas de verre, et pourtant elle l’est. « Une aliémée, raconte M. Despine, qui éprouvait des douleurs d’entrailles après chaque repas, s’imagina que l’on empoisonnait ses alimens. Elle raisonnait si bien sur tout autre objet, et même sur son idée fixe, en y puisant ses prémisses, qu’il nous arrivait parfois de combattre son erreur par des preuves raisonnées, oubliant que nous avions affaire à une personne dont le cerveau était malade. Un jour, après nous avoir écouté tranquillement sans nous interrompre, elle