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peu à peu avec une correction irréprochable. La loi politique n’avait reçu aucune atteinte, en même temps que la loi chrétienne était admirablement maintenue et respectée. Le prince, sans être roi, était le chef de sa famille. Ne pouvant être le premier dans l’état, il était, selon le vœu de la reine, le premier dans sa maison. Quelques années plus tard, le duc de Wellington, devenu président du conseil, ayant eu l’idée d’offrir au prince le commandement de l’armée anglaise, le prince refusa sans hésiter, et les motifs de son refus résument avec une précision éloquente le plan de conduite qu’il s’était tracé dès le premier jour. « Le principe de tous mes actes, écrit-il au noble duc, c’est de fondre ma propre destinée avec celle de ma femme, de ne rechercher aucun pouvoir en lui-même ou pour lui-même, de rejeter toute ostentation, de n’assumer aucune responsabilité distincte devant le public, de faire au contraire que ma vie soit une part de la vie de la reine et rien autre chose, de veiller avec une sollicitude continuelle sur tous les domaines des affaires publiques, de me rendre ainsi capable de la conseiller, de l’assister, à chaque moment, dans chacune des nombreuses et difficiles questions soumises à son autorité, — questions politiques, sociales, personnelles, — de la conseiller et de l’assister, dis-je, comme le chef naturel de sa famille, comme le surintendant de sa maison, comme le directeur de ses affaires privées, enfin comme son seul conseiller confidentiel en matière politique et son seul auxiliaire dans ses communications avec les officiers du gouvernement[1]. »

Voilà un programme très noble, très digne, mais peut-être un peu difficile à faire accepter du plus grand nombre des hommes d’état anglais. Lord Melbourne assurément n’y fera pas d’objections bien vives ; des esprits élevés, modérés, les uns par respect pour la reine et par ménagement de leurs intérêts propres, les autres par une confiance virile dans la force de résistance que les mœurs publiques opposeraient immédiatement à toute pensée d’usurpation, pourront bien aussi ne pas chicaner le prince sur l’idée qu’il se fait de son devoir et de son rôle. Ce n’est pas là d’ailleurs un programme officiel, une déclaration de principes, c’est une confidence particulière que les ministres de la reine, les whigs comme les tories, ou bien ne connaîtront pas, ou bien seront censés ne pas connaître. Fort bien, mais le jour où l’action du prince, telle qu’il la comprend ici, sera plus visible à des regards jaloux, le jour où la politique turbulente et révolutionnaire d’un Palmerston croira rencontrer un obstacle secret dans les sentimens du mari de la

  1. Voyez The Early years of the Prince consort, p. 318.