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à « humilier la dignité nationale » devant la France, il avait un sentiment profond de l’alliance cimentée dans le sang des deux pays, et je dirai même de ce que l’Italie devait à l’empereur. — Les menaces de conquête à main armée au sujet de Venise offraient un prétexte trop plausible à l’Autriche, impatiente de saisir une occasion et engagée justement à cette heure dans des négociations pour obtenir l’appui de la Russie et de la Prusse. — Subordonner la solution des affaires de Naples à la revendication de Venise et de Rome, ajourner l’annexion des provinces méridionales, ainsi que le prétendait Garibaldi, c’était laisser la carrière ouverte à toutes les passions, dans un provisoire anarchique et révolutionnaire qui pouvait menacer le royaume du Nord lui-même dans sa sûreté. — Céder aux sommations de Garibaldi réclamant le renvoi des ministres ou même d’un ministre, c’était abaisser le roi, le parlement, les institutions libres, les pouvoirs publics devant une dictature soldatesque. — S’abstenir, on ne le pouvait plus.

Que faire? Cavour n’en était pas à saisir toute la gravité de la crise, à chercher une issue. Depuis quelques jours déjà, il ne cessait d’écrire à ses agens : « Voilà le moment critique! Nous touchons au dénoûment ; il faut qu’il réponde à nos espérances et aux vrais intérêts de l’Italie! » C’est alors que Cavour, sans plus perdre une heure, puisait dans son audace, dans le sentiment de sa responsabilité, une de ces résolutions par lesquelles un homme arrivé à la dernière extrémité joue le tout pour le tout. Il ne voyait qu’un moyen de sortir de là, de trancher le nœud du problème : reprendre ouvertement l’initiative, la direction de ce mouvement près de s’égarer, en acceptant l’unité dans ce qu’elle avait de réalisable et en marchant sur la révolution pour l’arrêter dans ses folies meurtrières, pour l’empêcher de compromettre la cause nationale d’une manière peut-être irréparable; mais pour se rendre maître des événemens à Naples, pour unir le midi au nord, il fallait se frayer un chemin à travers l’Ombrie et les Marches, resserrer dans son dernier asile l’état pontifical, et pour avoir raison de Garibaldi, la force des armes ne suffisait pas, il fallait la force morale des institutions libres habilement opposées à une fantaisie soldatesque. Cavour se décidait à deux actes : — l’intervention et la convocation du parlement. Lui aussi, il s’appropriait, il murmurait dans sa pensée le mot fameux : andremo al fondo ! mais il s’arrangeait de façon à dégager de la crise nouvelle l’indépendance de l’Italie fortifiée et la monarchie de Savoie plus que jamais affermie.

Accepter l’unité en plein travail pour ainsi dire, en pleine conquête, considérer la révolution de Naples comme un fait accompli qu’il ne restait plus qu’à enregistrer, avant que le roi François II