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s’écriait-il, l’opinion changera en Europe... Lorsque la vérité ne pourra plus être sérieusement contestée, le sort de la Vénétie éveillera d’immenses sympathies, non-seulement dans la généreuse France, dans la juste Angleterre, mais dans la noble Allemagne. Je crois que le temps n’est pas loin où la majorité de l’Allemagne ne voudra plus être la complice des malheurs de Venise. Quand il en sera ainsi, nous serons à la veille de la délivrance. Cette délivrance s’opérera-t-elle par les armes ou par des négociations? La Providence seule en décidera. « 

Évidemment Cavour se donnait le temps de consulter les circonstances tout en sachant bien néanmoins que d’un instant à l’autre le cabinet de Vienne pouvait être tenté de brusquer les choses, et en se tenant prêt aux événemens. La question de Venise n’avait encore rien que de relativement simple. La question de Rome était bien autrement complexe ; elle touchait à tout, à la constitution même de l’unité italienne par le choix de la capitale, aux croyances, aux intérêts et aux traditions du monde catholique, par le pouvoir temporel, aux relations les plus intimes avec la France par la présence prolongée d’une garnison française à Rome. Elle était à la fois nationale, universelle, religieuse, diplomatique, et c’est là que Cavour déployait réellement la puissance d’un esprit merveilleux de pénétration et de netteté, maître dans l’art des ménagements et des combinaisons, absolument dénué de préjugés vulgaires, poursuivant par le libéralisme la solution d’un problème en apparence insoluble.

Cette question de Rome, qu’il avait rencontrée bien des fois sur son chemin depuis vingt ans et qu’il ne pouvait aborder de front lorsqu’il ne représentait que le petit Piémont, il la retrouvait devant lui comme ministre de l’Italie unie, et ce qu’il avait à négocier en réalité n’était rien moins qu’une transformation complète des conditions politiques de la papauté. Il avait un avantage qui tenait à sa nature libre et ouverte, qui avait été plus d’une fois sa force dans toutes ces délicates affaires religieuses. Il n’avait ni haine ni préventions d’aucune sorte à l’égard de l’église. Il jugeait, il est vrai, le pouvoir temporel perdu ; il le croyait aussi incompatible avec la nationalité italienne que peu favorable à la religion elle-même ; il en pariait librement, sans violence, en homme avait un grand problème à résoudre, non des passions de secte à satisfaire, et justement parce qu’il voyait tout en politique supérieur, il pouvait se prêter à ce qui ne serait point incompatible avec l’objet qu’il poursuivait, tout disposé d’ailleurs à offrir à l’église pour son pouvoir perdu les plus larges compensations de liberté et d’indépendance. Un jour, vers ce temps-là, il écrivait à un de ses confidens :