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la diplomatie étrangère, à se mettre, pour ainsi dire, en règle sur deux questions qui allaient être sans cesse agitées, qui se dressaient fatalement désormais comme deux redoutables énigmes devant l’Italie unifiée et inachevée : Venise et Rome! L’une de ces questions, celle de Venise, restait la plaie vive par la domination autrichienne laissée au-delà du Mincio ; l’autre était une grande question morale plus encore que territoriale. Elles étaient toutes les deux en réalité aussi difficiles à résoudre qu’à éluder, et Cavour ne sortait d’une crise que pour se retrouver en face de nouveaux problèmes plus délicats et plus épineux que jamais. Avec un peu de révolution et un peu de guerre on avait pu enlever Naples et les Marches; on ne pouvait pas aller avec des volontaires en chemise rouge et des manifestes retentissans à Venise et à Rome; il n’y avait que Garibaldi qui le croyait, et la situation devenait d’autant plus sérieuse que ce n’était plus en vérité le moment de jouer le tout pour le tout, de risquer dans des aventures nouvelles l’existence d’un royaume de 22 millions d’Italiens, l’unité à peine conquise de nom, encore en travail.

Eh ! sûrement Cavour songeait à Venise autant que Garibaldi ; il ne pouvait l’oublier, puisque pour elle il avait éclaté si violemment après Villafranca et presque risqué une rupture avec l’empereur; il n« pouvait oublier non plus tout ce qui l’entourait, les dangers qu’une imprudence pouvait à chaque instant provoquer sur le Mincio, et cette imprudence, il ne voulait ni la commettre, ni la laisser commettre. C’était désormais pour lui une affaire de conduite et d’opportunité, où il tenait comme toujours à garder l’opinion pour complice sans la tromper. « Quelque ardente que soit notre affection pour Venise, pour la grande martyre, disait-il, nous devons reconnaître que la guerre contre l’Autriche serait impossible en ce moment; impossible parce que nous ne sommes pas organisés, impossible parce que l’Europe ne le veut pas. Je sais bien qu’il y a des hommes qui font peu de cas de l’opposition des cabinets. Je ne suis pas de leur avis. Je leur rappelle qu’il a été toujours fatal aux princes et aux peuples de ne pas tenir compte de ce que veulent les puissances. D’énormes catastrophes sont venues d’un trop grand dédain pour les sentimens des autres nations. » Et lorsqu’on lui demandait comment alors il entendait résoudre cette question de Venise, il répondait qu’il fallait convaincre l’Europe, désarmer les oppositions, qui ne venaient pas des gouvernemens seuls, — dissiper cette dernière illusion d’une réconciliation possible entre les Vénitiens et l’Autriche, montrer enfin que les Italiens, après s’être constitués en nation, étaient capables de s’organiser, de former un état solide, appuyé sur le consentement des populations. — « Alors,